Il y a quelques jours, Areva s’est fait épingler par l’association Les Amis de la Terre, en recevant le Prix Pinocchio pour la 4e fois. L’occasion de revenir sur l’évolution des pratiques de grandes entreprises en matière de greenwashing.
Déjà en 2008, année de la création du Prix Pinocchio, Areva raflait deux des trois « récompenses » pour sa publicité en direction des enfants « L’énergie au sens propre ». En 2012, la multinationale du nucléaire récidivait en remportant le premier prix pour la catégorie environnement, « Mains sales, poches pleines », avec 45% des votes.
Cette année, Areva se fait encore remarquer en se plaçant sur la première marche du podium pour la catégorie « Plus vert que vert ». Ce prix dénonce l’entreprise ayant mené la campagne de communication la plus trompeuse. Pour s’attirer les foudres des internautes (59% des votes), Areva a fait très fort : ouvrir Urêka, un musée « pédagogique et objectif » à la gloire de l’uranium, sur d’anciennes mines du Limousin. Pendant ce temps-là, au Niger, où Areva exploite l’uranium depuis plus de quarante ans, plusieurs organisations et reportages affirment que la population hérite de 50 millions de tonnes de résidus radioactifs et est privée de 20 millions de mètres cubes d’eau par an. La ville d’Arlit et sa nappe phréatique seraient potentiellement touchées.
Tous les sondages dénotent ce ras-le-bol du grand public pour les pratiques mensongères, et une méfiance forte. Mais cela suffit-t-il à faire reculer le greenwashing ? Rien n’est moins sûr. Même si plus personne n’est dupe devant un packaging ou une affiche vantant les qualités « naturelles » ou « écologiques » d’un produit de grande distribution, de nouvelles pratiques, plus pernicieuses et plus difficilement identifiables pour le commun des mortels, font leur apparition. À l’image du musée d’Areva : plus c’est gros, plus ça passe.
Le « cyber-greenwashing »
Une des pratiques les plus communes et désagréables de greenwashing s’appelle le « gazon artificiel ». Elle consiste à poster de faux témoignages d’internautes (blogs, pages Wikipédia, avis, posts de forums) pour « verdir » l’image d’une marque.
Mais le greenwashing a étendu son territoire et touche aujourd’hui des secteurs qui n’y avaient jamais eu recours auparavant. Il prend de nouvelles formes, et sort même du domaine de l’écologie. Toute grande cause est susceptible d’être récupérée : santé, éthique…
Les experts
Les grandes marques ont bien compris le pouvoir des prescripteurs et n’hésitent pas à s’acheter une réputation en s’associant avec des « professionnels » reconnus. Par exemple, Danacol a récemment sorti le site Savoir réduire son cholestérol, qui met en avant des experts aux conseils orientés. Ces mêmes experts ne rechignent pas à faire passer le message des marques sur les plateaux télé ou dans la presse. S’agit-il d’information ? de lobbying ? de greenwashing ?
Le pinkwashing
Un des exemples les plus frappants de ces dernières années est sans doute le « pinkwashing » : l’appropriation de la lutte contre le cancer du sein par les grandes entreprises, parfois en totale incohérence avec l’impact de leurs produits sur la santé. Par exemple, KFC « s’engage » dans la lutte contre le cancer du sein, alors que ses produits contiennent des substances cancérigènes…
Et si le green entraînait encore plus de washing ?
Suite aux résultats du Prix Pinocchio 2013, Areva a réagi sur Twitter… en ajoutant une couche de peinture verte.
Autre exemple mais avec une différence : il y a quelques mois, Nutella, ayant considérablement amélioré ses pratiques suite au « bad buzz » sur l’huile de palme, a mené une campagne d’un nouveau genre pour expliquer les vertus de ses produits. Une démarche nettement plus subtile que les premières générations de greenwashing, qui a le mérite d’aborder les critiques, mais tente peut-être encore trop de maitriser le débat pour ressusciter la confiance.
Pour les marques, ces sujets écologique, sanitaires, sociaux, éthiques… sont certes délicats à éluder, mais aussi à aborder. Le nouveau greenwashing peut aider à renouer de la confiance avec une partie de leurs publics et donner du courage à leurs soutiens (interne, réseaux commerciaux, politiques, presse économique et communication). Reste à savoir si ce type de communication très contrôlée peut vraiment faire croire durablement au consommateur qu’une énergie qui pollue est propre, qu’un produit alimentaire qui fait grossir est bon, etc. Peut-on espérer qu’en demandant à la communication de pallier les faiblesses de l’entreprise et de ses produits, la confiance des grandes industries et de la communication en général puisse se reconstruire ?
Romain Porcheron, responsable du projet Prix Pinocchio chez Les Amis de la Terre, explique dans un article de Reporterre que les problématiques RSE ont été largement appropriées par les entreprises et que paradoxalement, le gouffre se creuse entre le discours marketing et la réalité. Le Prix Pinocchio est donc une piqûre de rappel pour les entreprises, mais aussi pour nous tous, communicants, qui aurions bien intérêt à potasser les recommandations de l’ARPP et à pratiquer la copie stratégie responsable.
« Les clients ne peuvent pas toujours dire ce qu’ils veulent, mais ils sont toujours capables d’exprimer ce qui ne vas pas. » – Carly Fiona
En savoir plus
• Les Amis de la Terre sont aussi à l’initiative du projet Crad 40, dont l’objectif est d’interpeller sur l’activité des multinationales et appeler à un encadrement juridique contraignant leurs activités.
• Le guide anti-greenwashing de l’ADEME
• Stop greenwash, le site de Greenpeace
• Le site de l’association pour une communication plus responsable
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