LIMITE était le 15 mai dernier à la Cantine pour une conférence du Social Media Club sur la valorisation des données. Une occasion de discuter des expérimentations de VRM – Vendor Relationship Management -, qui pourraient contribuer à la communication responsable de demain. Une inversion des schémas marketing : partir de la demande et non de l’offre.
La notion de VRM part d’un triple constat. D’abord, la relative inefficacité du marketing actuel, qui cible avec une louche lorsqu’il s’agit souvent de définir son public avec une pince à épiler. Ensuite, la métamorphose du client « 2.0 » : plus actif, en réseau, il ne se satisfait plus des push marketing traditionnels. Enfin, la montée en puissance des questions de vie privée et de libertés publiques, exacerbées lorsque, par exemple, Google modifie ses CGU sans laisser de choix à l’utilisateur.
Ces trois observations posent la question de l’existence d’une bulle autour de la publicité web. N’a-t-on pas surestimé la monétisation de l’économie de l’attention, oubliant que le « temps de cerveau disponible » n’est pas extensible à l’infini ? N’a-t-on pas atteint une limite, dans la contradiction entre la valeur d’échange des données et la nécessaire protection de la vie privée ?
C’est le parti pris du VRM, qui milite pour une inversion totale des positions entre client et annonceur. Des trois constats surgissent trois propositions. D’un marketing en push, on passerait à un marketing en pull, où l’utilisateur solliciterait l’annonceur pour que ce dernier lui fasse des offres. D’une économie de l’attention, marquée par l’« infobésité » et la publicité de masse, on se dirigerait vers ce que Doc Searl appelle une « économie de l’intention », où l’utilisateur a la main sur ses données et autorise des acteurs économiques à utiliser ces dernières. Enfin, le « Big data », soit le calcul de corrélations entre des masses de données toujours plus grandes, serait remplacé par le « Small Data », une économie de la rareté, misant sur la précision et la subjectivité de la donnée personnelle pour créer de la valeur.
Concrètement, il s’agit de laisser l’utilisateur exprimer ses besoins et afficher ses intentions, sans les lui extorquer, de manière à ce que ce soit lui qui fasse ses propres appels d’offre. Dans ce modèle, la demande créerait l’offre et non l’inverse. C’est en substance ce qui se passe déjà avec un site comme Eventful, qui permet à des internautes d’exprimer collectivement une demande d’événement culturel. Libre ensuite à un tourneur de monétiser cette demande, en organisant l’événement plébiscité.
Une démarche « gagnant-gagnant » entre client et annonceur ?
Mais le VRM veut aller plus loin encore, en imaginant un « personal data store », où le consommateur redeviendrait propriétaire de ses données personnelles. Il pourrait alors stocker, partager, enrichir ces données. Mieux, il serait habilité à décider quel type d’acteur économique serait autorisé – ou non – à utiliser chaque jeu de données, pour quelle utilisation, et pour quelle durée. Finies dès lors publicités intrusives, basées sur le recoupement de nos traces, souvent indélébiles, laissées sur la toile.
Valérie Peugeot (Orange Labs) donnait lors de la conférence l’exemple d’un foyer désirant acquérir une machine à laver le linge. Dans le fonctionnement actuel, il aurait sans doute tapé « machine à laver » sur Google, pour se voir proposer diverses publicités, très inégalement pertinentes. Ici, la logique s’inverse : le foyer renseigne des informations qu’il n’aurait jamais renseignées autrement (nombre d’enfants, sports pratiqués, nombre de lessives par semaine, etc.) et sollicite les acteurs du secteur pour se faire proposer une offre qui lui convient.
On perçoit assez bien les avantages de ce fonctionnement pour le consommateur. En matière de protection de la vie privée, puisque ce dernier reprend le contrôle sur ses données. Un objectif qui fait écho à la palabre menée entre l’équipe LIMITE et son comité d’éthique sur Facebook, réseau social privé qui pose la question de la propriété des données personnelles. En matière de services, ces initiatives sont également stimulantes pour le consommateur, qui se verrait proposer des offres ultra personnalisées, tout en gardant le contrôle sur les informations. Mieux, il pourrait utiliser ces données à ses propres fins, en analysant précisément ses comportements (ex. : bilan carbone de ses consommations).
L’avantage pour les annonceurs peut paraître moins évident. Pourtant, là aussi, les opportunités sont grandes. S’appuyer sur des données délibérément consenties est un atout indéniable en termes de marketing. Si l’étendue de la cible est moindre, le taux de transformation est lui démultiplié, ce qui augmente automatiquement le rendement des budgets de communication. Dans le même temps, la précision des données améliorera la connaissance des consommateurs et favorisera ainsi la mise en place de services innovants.
Des expérimentations qui restent à l’état de prototypes
Des expérimentations sont déjà en cours pour éprouver les propositions du VRM. En Grande-Bretagne d’abord, avec le projet « My Data », qui réunit les grandes entreprises du pays (Google, Barclays, MasterCard, T-Mobile, etc.) à l’initiative du gouvernement, afin de les convaincre de rendre les données aux utilisateurs. Le slogan de la démarche est limpide – « empower the consumer » – mais sa réussite est loin d’être acquise. En France, c’est la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), qui conduit le projet, en partenariat avec la Société Générale, le Crédit Coopératif et Orange.
Si ces réflexions permettent de faire avancer l’idée, beaucoup de questions restent en suspens. Qui hébergera cette fameuse banque de données personnelles ? Les entreprises pourront-elles toujours croiser des données pour formuler des offres ? Comment cela s’articulera-t-il avec le marché de la donnée personnelle, qui existe déjà ? Comment fera-t-on pour que l’utilisateur change de posture alors qu’on l’a habitué depuis longtemps au fonctionnement actuel ? Autant de questions qui ne sont pas résolues aujourd’hui.
Surtout, un certain nombre de critiques ont vu le jour sur le principe même de VRM. Pour certains, le VRM ne serait finalement que le stade ultime du libéralisme économique, un outil pour diminuer l’incertitude des entreprises et faire parfaitement coïncider l’offre et la demande grâce au travail du consommateur. Dans la droite lignée des critiques portant sur le crowdsourcing, on peut voir le VRM comme un moyen de faire faire au consommateur ce que l’annonceur faisait auparavant.
En parallèle, des critiques symétriques pointent le caractère bien trop réglementaire de cette démarche qui, dans sa version la plus « pure », forcerait tous les annonceurs à céder la propriété de leurs données aux utilisateurs. La critique se fonde notamment sur l’idée que les consommateurs aiment aussi se faire surprendre, et que les besoins ne sont pas tous « intentionnés » mais parfois « révélés » par la communication, comme dans le cas d’un achat compulsif.
Pour conclure, LIMITE se gardera bien de trancher sur cette question. Seulement pouvons-nous dire que les perspectives ouvertes sont très stimulantes en termes de communication responsable, en particulier sur la question du « droit à l’oubli ». LIMITE n’a d’ailleurs pas attendu le VRM pour s’atteler à cette question. En témoigne le module « J’aime mon cœur » réalisé pour la FFC, qui ne conserve aucune donnée personnelle requise (âge, sexe, santé, etc.) à l’exception de l’adresse mail, si et seulement celle-ci est délibérément cédée…