Cette injonction de plus en plus fréquente dans l’univers philanthropique est au cœur du dossier « Les nouveaux habits de la philanthropie : l’altruisme efficace » de Juliette Boulay sur Latribune.fr. Le chapô est sans équivoque : « Comment réduire l’extrême pauvreté dans le monde avec un minimum de ressources ? Pour résoudre cette équation, chaque dépense – de temps ou d’argent – doit être allouée de façon à faire le plus de bien possible. »
Ce dossier est intéressant car il montre une tendance de fond de la philanthropie qui consiste à se poser la question de l’efficacité quand, il y a quelques années encore, les donateurs traditionnels envisageaient d’abord le don comme un acte de charité et laissaient parfois au second plan l’effet de levier que ce don pouvait produire. Cependant, je trouve gênant que cet éclairage soit trop univoque considérant comme intrinsèquement positive l’efficacité à tout crin, oubliant au passage quelques nécessaires nuances.
L’efficacité n’est pas garantie d’utilité
La journaliste part du postulat suivant : « Certains dons sont plus utiles que d’autres ». Très certainement. Elle en conclut qu’il faut ainsi chercher à faire des dons plus efficaces pour être en quelque sorte un meilleur philanthrope. Cependant, l’efficacité n’est pas gage d’utilité. Un don utile me semble être un don répondant à des besoins non couverts. Il peut certes financer directement un programme, mais ce don sera parfois tout aussi utile en finançant les frais de la structure qui porte le projet. Or, nous le savons, les dons non-affectés qui permettent de faire vivre les associations sont les parents pauvres de la collecte de fonds. Il est naturellement utile de payer les briques pour la construction d’une maison, mais il ne l’est pas moins de payer le cabinet d’architecte et les ouvriers qui rendent également sa construction possible.
Raisonner uniquement du point de vue de l’efficacité conduit à définir une hiérarchie des causes
En s’appuyant sur la vision de « Peter Singer [qui] accorde davantage d’importance aux conséquences du don qu’à ses motivations », l’article encourage à combiner dans l’acte de don le cœur et la raison : « Se contenter de donner sous le coup de l’émotion ne suffit pas. Les donateurs doivent se rendre compte qu’ils peuvent faire plus de bien en aidant des gens qui se trouvent à l’autre bout de la planète” plutôt qu’en donnant à des associations culturelles près de chez eux, par exemple. »
Si, dans une certaine mesure, intégrer une dimension rationnelle dans un acte de don me semble positif, il ne peut en être l’unique critère. Car, le problème que cela pose alors est celui de la hiérarchie des causes. Chacun a la sienne, mais si celle-ci devenait collective, qui jugerait de l’importance de telle ou telle cause par rapport aux autres et sur quels critères ? Le risque étant de quasi-réglementer quelque chose qui doit à tout prix rester de l’ordre de l’inclination personnelle, si l’on veut que les différents types de besoins soient couverts.
Pour une philanthropie stratégique
Face à cette lame de fond d’une philanthropie empreinte de la culture business, ne mettons pas de côté de manière trop radicale une vision plus traditionnelle : celle d’une philanthropie qui finance aussi des causes désespérées, des projets qui parfois échouent mais qui permettent d’innover/progresser, etc. Encourageons les différentes formes de philanthropie en considérant que face à la complexité du monde et des problèmes que nous rencontrons, mieux vaut plusieurs façons de faire qu’une seule !
La vraie question pour la philanthropie aujourd’hui est sans doute moins celle de l’efficacité que celle de la stratégie. Quelle stratégie le philanthrope élabore-t-il sur le sujet sur lequel il s’engage, comment la mène-t-il dans la durée et la fait-il évoluer ?…
Un sujet de fond qui sera à l’ordre du jour des grands rendez-vous organisés par LIMITE qui auront lieu dans quelques mois. Nous vous en reparlerons prochainement sur ce blog.
Xavier Gay
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