Communiquer c’est faire du vent, mais le vent peut faire avancer dans la mauvaise direction ou tout détruire sur son passage ! Comme le
vent, le publicitaire est léger. C’est même ce qu’on lui demande : avoir plein d’idées, les tester, attirer la sympathie ou l’ironie avec elles et, parfois, déclencher de vrais phénomènes de consommation,
encore plus rarement de société, changements de perceptions, de comportements…
Dans la période de transition que nous commençons à peine à aborder, plus que jamais cette légèreté de l’idée qui fait vivre la relation entre la marque et ses publics (et non pas « l’idée qui tue » les consommateurs cibles de la vieille com) peut, par la magie des nouveaux usages numériques, accélérer et rendre positives les nécessaires évolutions.
À condition… à condition que le communicant soit conscient de cette responsabilité renforcée que lui confère le double changement de paradigmes des transitions, sociétale et digitale, dont le gourou Jérémy Rifkin fait le story-telling dans son dernier bouquin.
Le propre des agences de communication est d’être des PME qui pètent plus haut que leur nez. Lorsque nous travaillions dans l’une des plus grosses agences parisiennes (en fait une maison de 300 salariés à tout casser), le patron de l’opposition à l’Assemblée nationale avait demandé au nôtre s’il avait quelques idées pour alimenter son argumentaire dans un débat sur les retraites. Notre patron, publicitaire reconnu dans le lancement de voitures et de yoghourts, avait répondu que oui, bien entendu. Son ami député aurait un dossier dans les 3 jours. Rentré à l’agence, comme il avait demandé s’il y avait ce genre de dossier dans l’une de ses business units, on lui avait dit que cela devait se trouver quelque part dans le rayon corporate. La demande était alors descendue en cascade jusqu’à notre équipe, qui avait effectivement travaillé pour des régimes de retraite, et un stagiaire avait ainsi fini par préparer une synthèse des principales idées qui circulaient alors dans les dossiers et cahiers des charges des appels d’offres de com institutionnelle du moment. Idées qui se retrouvèrent quelques jours plus tard dans les diatribes de l’opposition à la tribune de l’Assemblée nationale.
La morale apparente de cette histoire est que s’il est triste que les dirigeants viennent chercher des idées de com auprès des publicitaires parce qu’ils n’en ont pas assez pour mériter leur place de dirigeants, il est encore plus triste de constater que les publicitaires ont souvent raison d’avoir le culot de prétendre pouvoir leur fournir des idées de com qui remplaceront le courage d’agir et d’innover.
Mais il y a, selon nous, une autre morale à tirer de cette collusion entre la lâcheté des politiques et le culot des publicitaires : c’est que ces derniers doivent apprendre à connaître leurs… limites !
Ces règles de la communication responsable, les vieux publicitaires les assimilent à de la
pensée unique, leur reprochent de brider leur créativité. Comme si, en dehors de 4 ou 5 campagnes annuelles présentées dans les concours professionnels, la plupart des productions des gros annonceurs et agences n’était pas de la merde conventionnelle en barre (« moins cher que plus cher »/ « comment ? tu ne savais pas qu’en appelant le 5656 tu pouvais être assuré contre tout ?! » / « en achetant cette voiture vous achetez la nature » / « cette petite fille va mourir si vous ne faites pas un don » / « vos enfants ne vont pas boire du sucre et du pétrole mais de l’énergie » / etc.) : pour faire tourner leur boutique, les hypers de la com doivent tout accepter sans trop regarder la vérité derrière les briefs.
Aveuglement. Ce sont les marques qu’ils tuent, c’est la communication elle-même qu’ils bafouent. Ils se tirent, ils tirent à leur marque, ils nous tirent à tous une balle dans le pied. Alors que l’énergie, bien dirigée, d’idées qui font du bien (vs « qui tuent »), qui font attention aux personnes (et non pas aux « cibles »), qui se créent et vivent grâce et avec celles-ci, pour ces personnes avec lesquelles elles peuvent désormais interagir, cette énergie – renouvelable – du capital social de la marque est le carburant de son adaptation aux transformations de notre société.
Les communicants à responsabilité limitée, ceux qui prétendent faire de la communication digitale créative en achetant des artistes et des amis ou des sportifs et des clics, ou qui font des coups avec des causes pour gagner des prix sans se demander quelles sont les
conséquences globales de leurs campagnes pour les victimes, ces confrères à la tête de gros porte-containers encombrent encore beaucoup le paysage (au propre et au figuré) et font beaucoup de bruits et d’images creux. Ils veulent contrôler le territoire de la marque en achetant en gros du GRP (ou gross rating point), sans comprendre que la clé du succès, c’est aujourd’hui, comme le formulait Patrice Duchemin lors d’une réunion du Comité d’éthique de LIMITE, le « lâcher prise ».
Mais, à part leurs pairs, quelques titres de la presse com (et,
curieusement, les politiques + quelques éditorialistes de presse), qui
ne les trouve pas de plus en plus lourds ?