La communication de crise se prépare bien en amont, car lorsqu’une situation critique arrive, chaque heure compte. Aujourd’hui LIMITE donne la parole à… Eminem, dans son film « 8 mile », pour vous livrer quelques conseils et bonnes pratiques.
[Remise en contexte] Le film raconte le combat d’Eminem, rappeur blanc d’un quartier déshérité de Détroit, pour se faire une place dans le milieu du hip-hop et donner un sens à sa vie, que beaucoup répudieraient (mère alcoolique, travail à l’usine, humiliations…). La scène ci-dessous est la dernière battle du film, où Eminem affronte « Papa Doc », son principal ennemi, et tenant du titre.
[NB : il est vivement conseillé de regarder la vidéo, qui dure 2 minutes, avant de continuer à lire l’article]
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=sHE0wmgljco[/youtube]
Qu’a cette scène en commun avec la communication de crise ? Sans doute pas l’agressivité et le vocabulaire très spécifiques aux battles de hip-hop, et contreproductifs en cas de crise.
Plutôt un moment de haute tension où l’on doit :
– réfléchir, agir et réagir à l’environnement en très peu de temps
– séduire une audience attentive et exigeante
– désamorcer des détracteurs, dans une joute rhétorique où chaque mot est pesé
Dans la stratégie déployée par Eminem, au moins trois éléments sont à retenir pour bon nombre de situations de crise : la transparence, la prise d’initiative et la connivence avec le public.
1. Transparence : connaître et reconnaître ses faiblesses et ses erreurs
Le coup de génie d’Eminem est de désamorcer les critiques avant même qu’elles aient pu être énoncées : sa couleur de peau, ses humiliations, sa vie modeste, ses amitiés bancales… Au point de terminer sur cette phrase « tell these people something they dont know about me« (= raconte à ces gens quelque chose sur moi qu’ils ne savent pas), et de laisser son adversaire bouche bée, contraint à l’abandon.
Appliqué à une institution ou à une entreprise, le conseil peut être le suivant : identifiez vos faiblesses, vos manquements, vos erreurs même ; et le cas échéant, communiquez dessus, en reprenant ainsi la main, voire la maîtrise. Rien de pire qu’un « corps public » qui nie toute responsabilité dans une situation de crise, voire qui nie la crise elle-même.
Souvenez-vous des 3 Suisses (et de leur téléviseur discounté par erreur) qui, après de fausses déclarations et un silence de plusieurs jours, avaient produit un message d’erreur (non d’excuses) sur la FAQ de leur site, niant ainsi l’ampleur de la situation.
Certains réussissent à prendre les devants et jouer la transparence à fond. Findus a ainsi préféré révéler lui-même le scandale de la viande de cheval – en prenant le risque d’y être durablement associé – pour se protéger d’un retour de bâton bien plus dommageable. Et au-delà des mèmes qui ont circulé sur internet, le résultat semble être au rendez-vous.
2. Prise d’initiative : diriger les débats et déplacer le centre d’attention
L’aveu et la reconnaissance de faiblesses ou dysfonctionnements est une étape nécessaire ; elle ne se suffit pas pour « remporter » une communication de crise. Il faut réussir à « contre-attaquer » et déplacer la discussion sur un terrain plus favorable : c’est la « pensée latérale » [rtf] de Thierry Libaert.
Eminem le fait de manière très habile. A peine a-t-il terminé son « autocritique » qu’il annonce la couleur – « but I know something about you » (= mais je sais quelque chose à ton sujet…) – et développe les contradictions de son détracteur. Loin des apparences, Papa Doc est en fait un enfant de la classe moyenne, nommé Clarence (nom huppé), scolarisé en école privée… Au fond, le plus « noir » des deux – comprendre le plus démuni, stigmatisé, révolté – est peut-être bien Eminem.
Pour être efficace, cette stratégie doit se fonder sur des éléments crédibles et objectivables. Lorsque Bernard Tapie, au lendemain de l’affaire OM-VA, affirme que les sommes en jeu sont minimes en comparaison des pratiques des Girondins de Bordeaux, la tentative est trop grosse pour être prise en compte.
Bien réalisée en revanche, elle est dévastatrice. C’est là une des règles d’or du journalisme d’investigation : vérifier plusieurs fois tous les détails d’une démonstration, car si une infime partie s’avérait fausse ou imprécise, c’est l’ensemble du travail qui est décrédibilisé.
3. Connivence : adapter son discours à l’univers culturel de sa cible
Une crise n’est pas un procès : à la manière d’une battle, le principal enjeu est séduire le public, unique juge de la situation. Pour cela, la connivence avec ce dernier et la mobilisation de l’émotion s’avèrent très efficaces.
Dès le début, Eminem choisit de prendre le public à partie : « Everybody from the 313, put your motherfuckin’ hands up and follow me » (= vous tous ceux du 313, mains en l’air et suivez-moi). Le « 313 », indice téléphonique du bas-Détroit, représente ici la bannière identitaire des quartiers pauvres (à la manière du « 9-3 » français) : Eminem est parmi les siens, son adversaire non.
Plus tard, Eminem reprend une célèbre punchline de Mobb Deep (« there’s no such thing as halfway crooks » / « il n’y a rien de pire que les demi-escrocs »), et l’applique à son opposant. La référence est d’autant mieux placée que le sample de fond est celui du tube de Mobb Deep « shook one part II« . A cet instant précis, Eminem a déjà gagné : en se mettant du côté (identitaire, culturel) de la foule, il l’a conquise.
La Redoute a décliné ce principe très récemment. Suite à l’affaire de « l’homme nu », qui avait vu elle aussi une multitude de détournements sur le web, la directrice du développement a profité de l’attention pour lancer un jeu-concours.
Les internautes étaient invités à trouver toutes les (désormais fausses) erreurs sur les photos du site, avec à la clef une panoplie la Redoute entière (clin d’œil à l’homme nu). Un moyen efficace de jouer sur la culture du participatif et retourner une situation mal embarquée.
Et vous, cet extrait vous a-t-il inspiré d’autres cas de communication de crise ?