Voici quelques savoureux propos saisis à la volée et librement retranscrits de Patrick Viveret, lors des 3e Assises de la Philanthropie de l’Institut Pasteur, co-organisées avec le Monde.
Où la communication responsable est au service du bien-vivre, donc de l’acceptation des limites.
Les engagements éthiques, mécénaux ou RSE des entreprises relèvent souvent de la communication. Alors, oui à la créativité des publicitaires, mais celle-ci n’a pas obligatoirement pour mission de nous faire oublier la laideur des choses. La communication a souvent une vocation consolatrice : rendre gérable l’économie du mal-être et du mal de vivre. Alors qu’elle pourrait nous aider à sortir de la démesure, à accepter les limites, à découvrir le bien-vivre, alternative au mal de vivre.
Où cette communication responsable peut servir à s’assurer que la volonté lucrative est bien au service de l’intérêt général, et non du mal.
Le bénévolat (sous toutes ses formes, dont la philanthropie) ne doit pas être confondu avec le malévolat. Or la question clé est l’orientation de la volonté. En effet, entre les deux, il y a le lucravolat (être réduit à la volonté lucrative). Il faudrait s’assurer que le secteur du lucravolat sert bien plutôt le bénévolat que le malévolat. Il est légitime d’appuyer les acteurs qui vont dans le sens de la volonté bonne – la question étant celle de l’évaluation de la volonté bonne et non pas celle de la sanctuarisation des statuts.
De la même façon que les paradis fiscaux sont des passerelles entre le lucravolat et le malévolat, la RSE et l’ISR sont des passerelles entre le lucravolat et le bénévolat.
Où cette distinction ne peut se fonder que sur une confiance co-construite.
En comptabilité analytique, la règle est de distinguer les activités bénéfiques des activités nuisibles. Il faudrait tenir une troisième colonne : celle des activités potentiellement « l’une ou l’autre » :
– dans le cas de la Fondation Bettencourt : on peut discuter le déficit de confiance, mais il ne va pas de soi que cette fondation ne relève pas du trafic d’indulgence ;
– dans celui de BNP Paribas, l’engagement sociétal et mécénal est considérable, mais « offshore-leaks » interroge sur l’existence de filiales dans des paradis fiscaux… faudra-t-il fermer ces dernières pour lever le doute sur la véracité de la volonté d’engagement ?
Cette troisième colonne ne peut être établie qu’en co-construction entre acteurs marchands et non-marchands. Mais en une « co-construction citoyenne », c’est-à-dire en double décalage vis-à-vis des deux idéalismes :
– libéralisme intégral (selon lequel la main invisible du marché génère du mieux-être pour tous au global),
– idéalisme jacobin (c’est l’Etat qui est dépositaire exclusif de l’intérêt général).
Ce processus de co-construction de la troisième colonne bénéfique/nuisible dépend d’une exigence absolue de confiance entre les acteurs.
Où cette co-construction de la communication de confiance doit savoir prendre en compte le doute profond sur l’intention réelle des philanthropes et autres mécènes.
L’exigence de confiance entre les riches qui veulent aider les autres et ces autres butte sur deux points :
– surpuissance du financier face à la paupérisation des Etats et des associations ; phénomène insupportable du fait des processus d’évasion fiscale (appelée « optimisation » par les « optimistes »),
– déficit de crédits pour les acteurs dits désintéressés (au double sens de capital financier et de capital réputation) vis-à-vis des acteurs censés garantir cette confiance (banques, cabinets d’audits, etc.), qui viennent chercher des cautions auprès des fondations et autres ONG.
Deux éléments majeurs du double doute citoyen : comment retrouver des garanties ? au moyen de bourses de valeurs ? de notations de valeurs ? de collaborations ? Pourquoi pas, mais à condition de réunir un cadre de confiance qui permet de retrouver des garanties (côté baisse de la paupérisation financière et des déficits publics et côté trafics d’indulgence).
Dans les déficits de confiance, le détournement du sens des mots joue un rôle majeur. Philanthropie, inverse de misanthropie, signifie amour des autres. Depuis une dizaine d’années, on réutilise cette notion pour exprimer la volonté des riches d’aider les autres. On doit alors tenir compte du fait que le doute est considérable sur la formation des fortunes au cours des 30 dernières années.
Prétendre que l’argent était créateur de valeur revenait, au Moyen-Age, à prétendre qu’il était plus fort que Dieu. Voilà pourquoi, avant l’invention du purgatoire, l’usure était un pêché capital.
Où Saint-Augustin reste d’actualité quand on communique responsable en matière de philanthropie : « Posséder le superflu, c’est posséder le bien d’autrui ».
Un commentaire