Le débat organisé à la Cantine par le Social Media Club France pour la Social Media Week, et dont LIMITE a assuré la modération, s’intéressait au phénomène des détournements d’images, qui sont légion sur Internet. Est-ce que cette dérision par la caricature et l’appropriation par le grand public des mèmes et des images (« empowerment ») peuvent avoir une influence sur le monde politique ?
Après une rapide définition du terme de « mème », Nicolas Moreau, consultant digital et auteur d’un mémoire universitaire sur le sujet, a expliqué le succès de cette nouvelle forme d’expression qui passe par une appropriation des images et une déclinaison à l’infini par des auteurs rarement identifiés. La frise chronologique qu’il a montrée à l’assistance témoignage de l’extraordinaire créativité dont font preuve les internautes du monde entier, et la rapidité de propagation de ces images.
Clifford Singer, interviewé en live par LIMITE, en a d’ailleurs fait l’expérience en lançant le site mydavidcameron.com destiné à parodier les affiches de campagne du Premier ministre britannique. Très vite, il s’est retrouvé submergé par les contributions des visiteurs et a donc passé beaucoup de temps à sélectionner les plus drôles d’entre elles…
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Suite aux nombreuses arrestations d’opposants politiques et journalistes en Tunisie, le blogueur et caricaturiste Z s’est retrouvé face à un dilemme : abandonner son travail et ainsi céder à la pression, ou continuer en tapant encore plus fort sur le pouvoir. Il a finalement décidé de continuer à détourner l’image de Ben Ali avec ses dessins, fournissant même un modèle pour dessiner Ben Ali comme il le fait (!) et s’est réjoui de l’outil Internet qui s’est retourné contre le dictateur déchu. En effet, Ben Ali était friand de nouvelles technologies et avait fait installer des cybercafés un peu partout dans le pays… Z a aussi évoqué une utilisation très spécifique de Facebook dans son pays : le réseau social permet une véritable mobilisation, une organisation de la révolte, dimension collaborative et sociale qui est plutôt absente de notre côté de la Méditerranée.
Cependant, malgré la chute du régime dictatorial en Tunisie, la liberté d’expression n’est toujours pas scrupuleusement respectée comme nous l’a rappelé Valérie Manteau, journaliste à Charlie Hebdo. Ainsi, son journal a été censuré après seulement 2 couvertures après le départ du dictateur, ce qui montre le chemin qu’il reste à parcourir pour la classe dirigeante tunisienne, pas très friande d’être tournée en dérision. De plus, Charlie Hebdo occupe un rôle particulier dans le détournement d’images, car ses couvertures hebdomadaires sont largement reprises par les manifestants et autres blagueurs potaches sur le net. On assiste alors à une curieuse interférence entre la lenteur de publication des dessins de presse, certes régulière, et l’énorme vivier d’internautes produisant toujours plus de contenu de plus en plus rapidement, donc dépassant les journaux par leur actualité plus « fraîche ».
Enfin, Eric Maigret a évoqué la grande liberté d’expression, la décontextualisation dont font preuve ces images qui circulent et sont modifiées à loisir. Il estime qu’Internet a permis d’accélérer des mouvements sociaux qui étaient déjà formés mais nécessitaient un coup de pouce pour une plus large popularité. Il constate néanmoins le faible impact d’Internet et de ses détournements sur les campagnes électorales classiques, et déplore que ce phénomène de partage massif ne débouche finalement sur pas grand-chose de concret dans le monde occidental. Mais cet engouement témoigne d’une intelligence collective, dont le meilleur exemple reste Wikipedia, et pourrait tout à fait déboucher sur une reprise en main des questions de société par la société civile, pour peu que ces mouvements se structurent un minimum autour d’idées collectives fortes.
- Le compte-rendu complet du Social Media Club ;
- Une chronologie des mèmes sur Know Your Meme ;
- Une liste à peu près exhaustive sur Wikipedia.
- Le Storify de la Social Media Week.