A l’heure où même le maire de New York veut apprendre la programmation informatique, petit aperçu légèrement technique – mais pas trop – sur ces mécanismes qu’on trouve en ouvrant le capot de l’internet. Pourquoi tenter d’apprivoiser les algorithmes, ces structures du web que l’on connaît mal -sûrement à tort ? Parce qu’ils sont au coeur des mobilisations qui se nouent sur la toile.
Sur l’internet, les algorithmes donnent le La (ahah) de nos recherches ou nos interactions sociales. Bref, notre surf n’est pas comme en 1996 le résultat de la compilation d’un annuaire dûment renseigné par des internautes-documentalistes besogneux. Il est le résultat d’une quantité humainement non appréhendable de données, passées à la moulinette d’équations qui permettent de résoudre une question.
A présent, que ce soit sur Google, Facebook ou Youtube, une grande partie de notre navigation est à la fois guidée et quantifiée par les algorithmes. Or, ces structures fondamentales sont peu souvent remises en question en tant que telles : au plus fort du mouvement Occupy Wall Street, nombreux ont crié à la censure de Twitter, qui aurait occulté les discussions autour de ces manifestations du haut du podium (les fameux Trending Topics). En réalité, c’est très certainement l’algorithme, sans intervention de ses gardiens et démiurges, qui a provoqué cette situation : Twitter ne met pas en valeur les sujets les plus discutés mais ceux qui apparaissent soudainement et massivement. En gros, l’opération Occupy Wall Street a trop fait parler d’elle en amont pour être accrochée au mur de la gloire twittesque le jour de l’action venu.
Ce qui est intéressant, c’est donc de constater le décalage entre l’attente des internautes d’une reconnaissance de leur mobilisation et la réalité proposée par la plateforme technique – et ses programmeurs. On a accusé Twitter, comme on accuse les « chiffres de la police » de ne pas annoncer la réalité de la révolte pourtant vécue et soutenue par les internautes eux-mêmes dans leur mobilisation.
La différence, c’est que les manifestants et le public savent bien que la police ne va pas chercher à gonfler leurs rangs. Parce qu’ils connaissent le système, justement. Les manifestants savent qu’il n’est pas impartial, qu’il cherche à montrer quelque chose, à minimiser le rapport de force. C’est un jeu que les syndicalistes, les autorités et chacun d’entre nous connaissent… le public fait la moyenne et basta. Parce qu’on connaît la chanson, on connaît le système.
C’est finalement la même chose avec un algorithme : il faut parfois l’interroger, chercher à savoir comment il fonctionne. Pourquoi les outils de mesure de Twitter diraient forcément la vérité ? Plus intéressant encore, et largement plus juste : qu’est-ce que cette « vérité » ? Correspond-elle exactement à ce que j’ai envie de savoir ? L’algorithme, cet ensemble d’instructions pour résoudre un problème (définition pour logiciens), part-il bien de la même interrogation que moi ?
De fait, il semble qu’il existe un important phénomène d’appropriation de ces chiffres donnés par la plateforme, avec laquelle l’on a une intimité digitale par la fréquence de l’utilisation (Twitter, tu y vas plusieurs fois par jour ou tu le quittes) et la nature de ce que l’on y met (pour Occupy Wall Street, des revendications et des interactions avec d’autres personnes mobilisées).
Apprenons donc à parfois ouvrir le capot de l’internet que l’on fréquente. Il faut certainement questionner ces espaces publics en ligne, encore très jeunes. Si Twitter est une nouvelle sorte d’agora, alors il faudra penser certainement un peu plus en profondeur, et sans balayer des dimensions techniques – comment l’on peut mesurer la mobilisation, l’engouement. Se demander si les Trending Topics peuvent être l’équivalent des bras levés pour manifester un soutien. Ou s’il faut comptabiliser autrement.
Ce qui est certain, ce que ce type de données va exploser en volume, tout comme les outils qui vont se charger de traiter ces big datas. Si les codes sources, ces plans des moteurs que sont les algorithmes, sont libérés, ce sera plus facile. Mais dans tous les cas, c’est l’usage de plateformes et de leurs algorithmes qu’il est amusant de détourner, bon gré mal gré. Souvenons-nous de ce tour joué au Time par les trublions de 4chan (LE forum des lolcats et autres dérives picturales du web, attention aux yeux) lors du classement de 2009 : au lieu de simplement manipuler les votes et mettre en tête leur champion, ils ont préféré jouer sur une manipulation plus subtile à l’aide d’ingénieux algorithmes (oui oui) et sont arrivés à modifier l’ordre des nominés pour former un acrostiche sibyllin dont ils ont le secret, “Marble cake is also the game”. Un hack incompréhensible pour le néophyte, mais une signature évidente pour les initiés, et certainement un grand moment de LOL.
Nicolas Danet (Twitter : @NTenad)
Cet article est largement inspiré par un très bon papier publié sur Internet Actu, Ces algorithmes qui nous gouvernent qui donne la parole à des philosophes sur ces questions techniques. Extrait :
Bien sûr, la vigueur et la persistance de la charge de la censure n’est pas surprenante, estime Tarleton Gillespie. Les partisans de ces efforts politiques veulent désespérément que leur sujet gagne en visibilité. Reste que ces débats sur les outils ne font que commencé. “Comme de plus en plus de notre discours public en ligne a lieu sur un ensemble restreint de plates-formes de contenus privés, qui utilisent des algorithmes complexes pour gérer et organiser des collections massives de données, il existe une tension importante entre ce que nous nous attendons à voir émerger et ce que sont ces algorithmes en réalité. Non seulement nous devons reconnaître que ces algorithmes ne sont pas neutres, qu’ils codent des choix politiques, et qu’ils “armaturent” l’information d’une manière particulière, mais nous devons également comprendre ce que signifie de nous appuyer sur eux, pourquoi voulons-nous qu’ils soient neutres, fiables, qu’ils soient des moyens efficaces pour atteindre ce qui est le plus important.”