En avril 2007, Jurgen Habermas publiait une tribune intitulée « Il faut sauver la presse de qualité. » Partant du principe que, si une part de l’information s’adresse au consommateur, une autre permet l’accès à l’information citoyenne, le philosophe prévoyait qu’il faudrait « s’accoutumer à l’idée du subventionnement des quotidiens et des revues ».
Il écrivait aussi : « Il existe d’autres [moyens de financement], sur le modèle de la fondation avec une participation publique ou avec des réductions d’impôt. » La même année, les déductions fiscales sur les dons, déjà étendues des associations et fondations à la recherche médicale et aux grandes écoles, le furent à la presse d’information : créée par cinq syndicats professionnels de presse écrite, l’association Presse et Pluralisme lançait la possibilité pour des lecteurs, entreprises et particuliers, d’être mécènes des entreprises de presse, en bénéficiant de 66 % de réduction d’impôt sur les sommes versées.
Comme je m’occupais alors de Non Profit chez TBWA\Corporate, nous proposâmes à un grand quotidien le prétest d’une opération de fundraising : un « club » de philanthropes aurait offert à des milliers de lecteurs la possibilité de soutenir l’indépendance de leur journal. Le projet se heurta au veto de la rédaction, par crainte d’effrayer les annonceurs et au motif qu’il était humiliant de mendier. Réaction paradoxale, si l’on pense que des grands quotidiens doivent leur survie à de puissants mécènes ou à de gros annonceurs qui n’hésitent pas à exercer des pressions.
A l’étranger, ProPublica a levé 50 M$ pour subventionner une rédaction de journalisme d’investigation indépendante ; le Huffington Post, 1,75 M$ ; la maison-mère du « Guardian » est contrôlée par le Scott Trust…
En France, le mouvement est plus lent, bien que « Arrêt sur image », « Le Monde diplo », « L’Humanité », « Regards », « Terra Eco », « Rue 89 » ou « Mediapart » aient testé la souscription ou « l’abonnement militant ». Les montants collectés restent modestes, autour de 100 000 €, malgré les incitations du groupe de travail de l’Institut Montaigne présidé par Martine Esquirou, ou du Syndicat de la presse en ligne (Spill) en 2010.
Pourtant, en tant que professionnel de la mobilisation pour des grandes causes d’intérêt public – et l’indépendance d’une presse de qualité en est une -, les stratégies de type Capital campagnes (constitution d’un capital par les dons de particuliers fortunés ou d’entreprises), club de philanthropes (les fondations Polytechnique, Sciences Po, Insead, etc.), souscriptions militantes et « microdons » (arrondis et micro-opérations en flux continu) assureraient progressivement aux fleurons de notre presse un complément de ressources précieux, en ces temps où intérêts politiques et économiques n’hésitent plus à franchir les lignes pour surveiller et contrôler les journalistes.
Laurent Terrisse