L’ère de l’hyper vérité est-elle sur le point de remplacer celle de l’hyper mensonge ?
Et si oui, quelles conséquences nous autres, communicants, devons en tirer dans l’élaboration et la conduite de nos stratégies ? En particulier lorsque nous travaillons pour des marques dont le positionnement est très engagé sur des valeurs d’intérêt général, environnement, santé, respect… ?
Au moment où il semble que l’empire du mensonge qu’a élaboré le clan Murdoch va s’effondrer dans un immense scandale qui révèle chaque jour un peu plus la collusion qui s’était établie entre les pouvoirs et les cyniques parodies d’actualités qui, ces dernières années, ont souvent tenu lieu d’information à un public encore crédule, l’onde de choc Wikileaks qui a gagné le monde et paniqué les pouvoirs depuis 2010 pourrait bien changer radicalement le cadre dans lequel s’élaborent les opinions et les images des marques.
L’excellent débat animé le 5 décembre par Amy Goodman sur DemocracyNow entre le philosophe slovène Slavoj Zizek et Julian Assange permet de comprendre à quel point la nouvelle donne de l’opinion publique est bouleversée.
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A la 53ème mn (part 2) Slavoj Zizek revient sur ce fait : Wikileaks crée cette situation révolutionnaire dans laquelle plus personne ne peut faire semblant de ne pas savoir (…) « même si vous voulez ignorer Wikileaks, il a complètement changé la scène médiatique (…) Nous sommes au moment de vérité » « ceci est une pénétration idéologique de la vérité dans tous les médias mainstream »
Julian Assange : les informations sur les régimes arabes rendues publiques par Wikileaks fin 2010 ont créé un contexte dans lequel les élites internationales et le gouvernement américain ne pouvaient plus prétendre ne pas savoir que c’étaient des dictatures.
A Amy Goodman qui cite les nombreux dirigeants politiques de tous pays qui ont engagé une chasse sans merci contre Julian Assange, comme Newt Greenwich qui dit : « Julian Assange est engagé dans une guerre du terrorisme de l’information », ce dernier répond (après un trait d’humour sur Sarah Palin à la 12ème minute) : « ça a été incroyable de voir un nouveau mac-cartisme émerger en si peu de temps » (…) « ces gens sont effrayés de voir la face vraie de l’histoire révélée, leur réaction est rassurante »
Et Slavoj Zizek d’ajouter à la 19ème minute : « en fait, oui vous êtes un terroriste, dans le sens où Gandhi était un terroriste (…) il a effectivement essayé d’interrompre le cour normal du colonialisme anglais (…) Si vous êtes un terroriste, que sont-ils, ceux qui essayent de vous arrêter ? »
Fin 2010, dans une interview au journaliste Glenn Greenwald, Julian Assange poussait plus loin l’explication : « Les informations (que nous divulguons) ont un potentiel réformateur. Et les informations qui sont dissimulées ou censurées le sont parce que les gens qui les connaissent ont bien compris qu’ils disposent de ce pouvoir réformateur. Ils s’emploient activement à empêcher cette réforme (…) Plus une organisation est secrète ou injuste, plus les fuites induisent la peur et la paranoïa parmi ses dirigeants (…) Comme les systèmes injustes génèrent nécessairement une opposition en raison de leur nature, et que dans bien des cas ils ont énormément de mal à se maintenir en place, des fuites massives exposent leur extraordinaire vulnérabilité à ceux qui cherchent à les remplacer par des systèmes de démocratie directe. »
En résumé, comme l’écrit Paul Jorion dans « La guerre civile numérique » (Textuel éditions) où ces propos sont rapportés : « Assange est certainement un Robin des Bois contemporain ».
L’hyper vérité, fruit par réaction de l’hyper mensonge, s’impose même au « shérif de Nottingham » : « même Fox News est bien obligé de travailler sur de l’info, elle ne peut pas travailler sans info ; de sorte qu’alors que CNN a caché certaines de nos infos, Fox a plus (repris nos infos et donc) donné la vérité au peuple que CNN » (Julian Assange au cours du débat Democracy Now du 5 juillet 2011).
Qu’est-ce que cette nouvelle donne de l’opinion change pour la communication des marques ?
– traditionnellement, les entreprises (mais aussi les associations) et surtout ce qui touche à la marque ont une culture du secret, fondée sur le contrôle maximal de l’information ;
– mais les marques sont désormais objet d’opinion : l’enjeu de leur image et de la passion – l’amour ou de la haine – qu’on leur porte est leur vérité, la vérité de la marque : l’approcher, l’exprimer avec sincérité, assumer ses failles, la partager ;
– cette vérité des marques n’est plus l’exclusivité de ceux qui les détiennent: on ne peut plus verrouiller la communication, elle se fait en dialogue, en débats, parfois ailleurs que chez l’annonceur.
C’est particulièrement vrai des marques engagées, encore plus des associatives qui n’appartiennent plus tout-à-fait à leurs propriétaires légaux.
A qui appartient la vérité de la marque?
Certaines marques ne s’appartiennent plus tout-à-fait : Croix-Rouge, Max Havelaar, WWF, mais aussi Danone, Apple, Google, et bien d’autres, sur lesquels leurs publics et parties prenantes se sentent des droits, droits de « liker » ou droits de critiquer.
L’ère des Dircom verrouilleurs et des agences pour tout contrôler est révolue. Non seulement le storytelling façon Steve Denning ne fonctionne plus, ni pour valoriser ni même pour protéger les marques sur la place publique mondialisée qu’est devenu le web, mais les nouvelles règles de l’hyper-transparence la rendent dangereuse pour les « com-servateurs ».
Pour les marques à faible notoriété, encore pas ou peu partagées, c’est désormais un vrai choix stratégique de décider de s’engager ou non dans des stratégies de communication adaptées à ces nouvelles règles de l’imaginaire vrai et de la communication conversationnelle.
Celles qui sont déjà connues, peuvent, si elles ne sont pas prêtes à assumer les conséquences de ces nouvelles règles de communication, choisir de se replier sur des univers contrôlables.
Mais pour celles qui ont besoin du soutien de l’opinion grand public, l’apprentissage du « lâcher prise » passe par celui de l’imaginaire vrai et de la co-production. Il implique une transformation profonde des méthodes de communication, et parfois de l’organisation elle-même, en tout cas des mentalités.
Les réseaux sociaux globalisés sont le révélateur et le terrain de cet apprentissage.
Les marques qui vont tirer leur épingle de ce jeu de la vérité sont celles qui choisiront le camp de leurs clients contre celui des marchés financiers (pour les associations et fondations : de leurs militants et donateurs contre les puissances qui veulent contrôler leur combat).
Dans le monde des « wikibrands », la valeur reste créée par des marques. Mais par des marques révolutionnaires dont la conversation repose sur des « true stories » et qui acceptent que d’autres que les communicants co-produisent leur vérité.