Un des moments forts – et attendus – du Forum Social Mondial de Dakar était la venue de Noami Klein. La journaliste canadienne, auteur de No Logo, est venue parler de cette « narrative crisis » à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Extraits et réactions de Nicolas puis Laurent.
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Il est souvent répété que nous vivons une époque de « crise », qu’elle soit financière, économique, politique, climatique, etc… Naomi Klein apporte une dimension à la fois communicationnelle et englobante à tous ces aspects : nous traversons, en plus, une « crise de la parole » ou « crise de la prise de parole ».
Pourquoi ? Parce que les populations acceptent de moins en moins les discours diffusés par les lobbies scientistes qui rabâchent la puissance de la technique sur l’environnement, permettant de trouver des solutions aux problèmes environnementaux sans modifier notre mode de vie – ou du moins celui des pays industrialisés.
Trois types de technologies sont ainsi actuellement très soutenues financièrement (les investissements seraient comparables à ceux du nucléaire) et promues narrativement : les nanotechnologies, les manipulations génétiques et les géotechnologies. Elles font figure de nouvelle frontière à franchir pour le monde moderne, après la conquête de l’espace et, en raccourcissant, celle de l’Ouest sauvage. Une nouvelle frontière et donc un nouvel eldorado qu’il s’agit de conquérir, sans prise en compte des limites écologiques de ces ambitions.
Or, ces limites sont justement ressenties tragiquement par les populations, que ce soit récemment au Japon, en Haïti ou dans le Golfe du Mexique – pour ne citer qu’eux. Dans chacun de ces cas, sans doute différents sur bien des points, une impression prégnante reste : nous n’avons pas les capacités techniques, justement, pour faire face aux catastrophes climatiques qui arrivent, qu’elles soient causées par nous-mêmes (marée noire) ou par la Terre (tsunami), dans les pays développés ou non. Confronté à la réalité, vécue ou transmise par les médias, le discours scientiste est donc fragilisé.
Comment, alors, combattre ce story-telling scientiste ? Noami Klein croit au pouvoir des histoires – et à l’agence nous souscrivons à cette idée. Il ne suffit donc pas de dénoncer les discours des lobbies de l’industrie des nanotech ou génétique, qui présentent la Technologie comme solution miracle. Nous avons besoin d’histoires qui nous racontent que même en changeant notre mode de vie radicalement, nous pourrons toujours vivre heureux. Nous avons besoin de discours qui montrent des liens entre les choses plutôt que des frontières à franchir.
- Manifestation à Copenhague, décembre 2009 -Source : JDD
Un exemple concret ? Revenons un an en arrière, et rappelons-nous des images du Sommet Climatique de Copenhague. Au centre des manifestations, une gigantesque sphère gonflée représentant la planète bleue. Une belle photographie, prise depuis l’espace grâce à des moyens technologiques très développés, qui montre la fragilité de notre petite Terre. Bizarrement dans ce cas, si l’on a envie de protéger la planète, on ne voit absolument pas la violence que peuvent avoir les technologies sur l’environnement. A l’inverse, d’autres représentations du globe sont possibles, caméra au ras du sol : déchets, déforestations, pollutions, etc… L’impression est totalement différente, alors que l’on veut défendre la même chose.
Il faut donc continuer à raconter des histoires, à mettre en scène des combats, des idées, et se méfier des messages sous-jacents portés par les représentations que nous utilisons. C’est ça aussi, la communication responsable : être conscient des imaginaires que l’on convoque lorsque l’on prend la parole en public.
Le sujet du livre sur lequel travaille Naomi Klein : « You have to be story-tellers »
Au cours de cette conférence au Forum Social Mondial, Naomi Klein a résumé la thèse de son prochain livre :
Les Etats-Unis n’ont pas gagné la suprématie mondiale par leur technologie mais par leur stratégie narrative. C’est par Hollywood, leurs bestsellers, leurs jeux, etc., qu’ils sont parvenus à imposer leur mode de vie à crédit sur l’ensemble de l’humanité.
Ce mode de vie continue de reposer sur le mythe fondateur de cette nation : il n’a pas de limites à son développement. Ce paradigme est en opposition radicale avec celui du développement durable (ou plutôt « soutenable »). Le protocole de Kyoto le mettait donc en question.
L’opinion de Naomi Klein est que la stratégie alors adoptée par les Etats-Unis depuis le Sommet de Rio, assister sans faire partie, ne pas boycotter mais ne pas s’engager, n’a pas changé, même avec le Président Obama (George Bush père a dit « we participate, but we don’t negociate »). Cette stratégie a plombé le processus sur le climat et permis à nouveau aux Etats-Unis d’imposer au monde leur story-telling dans le seul but que leur mode de vie « béni » (George W. Bush) ne soit pas remis en cause (« there is no limit to development »).
La nouvelle frontière de ce story-telling new-age, ce sont les sciences du futur, c’est-à-dire les sciences de la vie évoquées dans le résumé de Nicolas. On (en apparence l’humanité mais en réalité les Américains) va pouvoir continuer à développer indéfiniment notre consommation en remodelant le vivant et la planète. Tout le plan Obama sur les green-tech, la reconversion de la Silicon Valley, etc., reposent sur cette idée sous-tendue par le projet de privatisation, c’est-à-dire en fait financiarisation de la planète : 75% de la biomasse n’est pas encore exploitée par l’industrie, c’est tentant !
Pour Naomi Klein, comme pour Climate Justice qui accueille sa conférence, l’idée selon laquelle on peut modifier le réchauffement de la planète est fantaisiste, « c’est une idée d’économistes arrogants qu’aucun scientifique sérieux ne partage ». Heureusement, le bon sens de la population résiste à cette propagande véhiculée par de nombreux films, livres, jeux de science-fiction (« the good news is that, hearing that we could re-ingenere the planet, our instinct rebels »). Quand on survole le Golfe du Mexique après Deep Horizon (on pourrait ajouter aujourd’hui le Japon), on comprend pourquoi les gens ont peur de cette idée de remodeler la planète.
Elle ajoute que, qui plus est, les médias nous parlent tellement de ces bio-techs, techniques de re-ingeniering planétaire qu’on a oublié que ces techniques en sont à leurs balbutiements, n’existent tout simplement pas !
Ce mensonge fait aussi oublier que ce n’est pas seulement d’une transition environnementale, c’est surtout d’une mutation sociale qu’il s’agit. La plupart des habitants de la planète (mais aussi nombre de nos concitoyens) sont trop modestes pour s’adapter à l’accélération des modes de vie que le capitalisme nous impose pour poursuivre encore quelque temps son développement.
Le nouveau story-telling responsable consiste donc à mobiliser l’opinion mondiale pour alerter sur ce tour de passe-passe mondialisé. Naomi Klein nous invite à inventer des histoires alternatives (« you have to be story-tellers »), pour rendre désirable un mode de vie nouveau, plus apaisé, plus harmonieux, plus plein, dont les pays émergents encore intacts, les autres civilisations nous indiquent les voies et les solutions.
Laurent Terrisse
Des histoires écologiques alternatives, on peut déjà en trouver dans la science-fiction et elles donnent de quoi réfléchir d’une autre manière : http://www.pop-up-urbain.com/la-science-fiction-pour-habiter-les-mondes-en-preparation-entretien-avec-yannick-rumpala-maitre-de-conference-en-sciences-politiques/