Depuis quelques mois se déroule un fil de discussion impressionnant autour du « slacktivism » qui caractérise des formes d’engagements politiques, humanitaires, etc. assez lâches que l’on voit se développer à la faveur du succès des réseaux sociaux et dont Facebook est l’exemple emblématique. Pour simplifier la question, il s’agit de savoir si cliquer le bouton « J’aime » peut constituer une forme d’engagement pertinente : d’où l’expression « Clicktivism » qui est un autre synonyme de cette modalité d’engagement que certains qualifient « d’engagement mou ». Ce débat n’est certes pas nouveau, ni dans sa formulation (« la révolution ne sera pas tweetée » renvoie au fameux slogan de Gil Scott Heron : « la révolution de sera pas télévisée »), ni dans les problématiques qu’il pose (la question du rôle de la technologie et des médias –quels qu’ils soient- dans leur rapport à l’engagement et à la mobilisation).
Le débat sur le « slacktivism » : une réification de la figure du militant ?
Ce débat autour du l’engagement par internet sous la forme du « slacktivism » avait trouvé toute son actualité à l’occasion des événements qui se sont déroulés en Iran en juin 2009 à l’occasion des élections présidentielles et en particulier du rôle joué par le site de micro-blogging Twitter (Voir l’article – #iranelection #gr88 #neda Please RT : mais qu’a donc fait Twitter en Iran ?). Dans le prolongement de ces événements, tous les commentateurs, qu’ils soient techno-euphoriques ou techno-prophétiques, y sont allés de leur analyses, parfois toutes aussi caricaturales les unes que les autres.
C’est sans doute au journaliste anglo-américain Malcolm Gladwell que reviendra la palme des commentaires les plus fantaisistes à ce sujet ; commentaires repris abondamment par la presse internationale et, chose plus étonnante, par le blog français Internet Actu (voir l’articleRéseaux contre hiérarchies, liens faibles contre liens forts). Comparant le mouvement non violent noir américain, les mouvements d’inspiration terroriste des années 50 à 70, ce « penseur chic et un peu toc » comme le qualifiait un article du New York Magazine repris par Courrier International en février 2009, expliquait que les formes d’engagement émergentes à travers les réseaux sociaux ne ressemblaient pas aux formes d’engagements plus traditionnelles in real life et donc celles donc qui vont du NAACP aux RAF (Fraction Armée Rouge), dés lors que les jeunes ne faisaient que cliquer « J’aime » telle ou telle cause sur Facebook. On s’étonnera que cette analyse sur les formes, répertoires et trajectoires de mobilisation puisse aujourd’hui encore avoir un quelconque crédit tant elle apparaît désuète : en clair, un « vrai militant » est celui qui soit se fait frapper par la police sans rien dire, soit quelqu’un qui prend les armes, détourne un avion ou prend en otage un chef d’Etat pour l’exécuter ensuite ; le reste n’étant qu’activisme mou et autre « engagement distancié ».
On s’amuserait presque de cette « ruse de l’histoire » qui voulu que quelques heures après la publication de ce billet sur Internet Actu, des dizaines de milliers de jeunes lycéens, qui s’étaient organisés par Facebook, MSN ou par SMS sortent dans la rue pour contester la réforme des retraites du Gouvernement et que les mêmes qui parlaient de « slacktivism » soient épouvantés par ces technologies qui produisent du chaos, de la violence et de la contestation sociale (on s’était de la même manière inquiété en son temps du rôle joué par les Skyblog lors des émeutes de banlieue en France en 2005 ( voir l’article « R@caille digitale ou les émeutes de banlieue n’ont pas eu lieu »). On ne s’en amusera cependant complètement car il est difficile d’oublier que c’est à nos enfants que l’on injoncte de fait, pour qu’ils puissent obtenir leur certificat de bons et de vrais militant, le port d’une arme ou à tous le moins l’opposition frontale à une répression du mouvement social particulièrement violente.
Qu’est que s’engager ?
Au-delà de ces analyses à l’emporte pièce, il convient aujourd’hui de se poser la question du rôle que peuvent jouer les réseaux sociaux et autres sites de partage dans la mobilisation en évitant de réifier des formes de militantisme qui n’ont jamais existées, car il convient d’en être convaincu, on ne nait pas militant, mais on le devient au terme d’histoires, de trajectoires nourries de rencontres, d’expériences, etc. Toute personne qui a eu l’occasion de fréquenter un syndicat, un parti ou une association sait que la mobilisation, l’entrée dans une trajectoire de bénévole ou de militant passe très souvent par des étapes qui ne se résument pas à une vision essentialiste ou dichotomique du militantisme. Et à cet égard, de la même manière que distribuer un tract devant une entreprise à 6 heures du matin, il n’apparaît pas choquant (froid en moins 🙂 que quelqu’un qui clique « j’aime » sur une cause pour en assurer une large diffusion sur Facebook de ce même tract.
Il n’apparaît pas plus choquant, à moins de réifier des formes d’engagements orthodoxes, que des utilisateurs de Twitter se mobilisent pour envoyer des outils d’anonymats à des internautes dont les gouvernements surveillent les communications ou qu’ils diffusent partout dans le monde le flux des informations en provenance de ces pays. Il apparaîtra de la même manière nullement choquant que des activistes écologistes tiennent, par Twitter et en temps réel, leurs contacts au courant de leurs actions visant à retarder l’avancée d’un train chargé de déchets nucléaires. Cliquer « J’aime » sur un groupe Facebook pour promouvoir une cause et la signaler à son réseau de relation, n’est pas, loin s’en faut un acte anodin, embarquer (« embeder ») une vidéo sur son compte Facebook ou son blog, la commenter, la noter, non plus.
Détecter les signes d’engagement dans les réseaux sociaux et leur apporter une réponse
Mais c’est sans doute là que la responsabilité la plus grande incombe à l’organisation : toute la question qui se pose à elle est en effet d’être en capacité de détecter les signes de cette mobilisation diffuse pour pouvoir ensuite l’orienter vers des formes d’action plus organisées. Si beaucoup d’organisations, d’associations, d’ONG se félicitent d’avoir un grand nombre de « followers » sur Twitter, d’ « amis » ou de personnes qui « aiment » leur dernière campagne, sur Facebook, bien peu se posent la question qui consiste à savoir ce qu’elle peuvent faire avec ce potentiel de bénévoles et de militants. Cette attitude fait penser à une pratique ancienne du PCF, le « défrichage » qui consistait à faire remplir des talons d’adhésion à la Fête de l’Humanité pour annoncer le chiffre lors du meeting du dimanche soir du Secrétaire Général et ne jamais reprendre contact avec ces personnes qui avaient pourtant signer un bulletin d’adhésion.
On s’étonnera ainsi que nombre d’associations oublient, ne serait-ce que de remercier sur les différents supports sur lesquels ont été relayé leurs campagnes, les personnes qui ont contribué à en assurer la publicité et la diffusion. On s’étonnera encore plus qu’il ne leur soit pas proposé de s’abonner à une newsletter permettant ainsi de garder un lien plus étroit avec eux permettant de les inscrire dans un processus d’adhésion, sous une forme ou une autre, à la vie de l’association. On parle aujourd’hui beaucoup de community management ou de « gestion de la relation client ». Sans aller jusqu’à avancer qu’il y a une parfaite homologie entre ce champ qui émane du marketing et celui du monde des ONG, il convient de réfléchir, à la faveur du développement de ces outils (et notamment ceux de la relation clientèle) comment les utiliser pour permettre à des publics de s’inscrire dans une trajectoire de mobilisation autour d’une cause, d’une campagne, d’un problème public ou d’une organisation.
Loin des déclarations réifiantes et souvent déceptives vis-à-vis des nouveaux médias, de leur rôle qu’elles peuvent jouer pour les associations, les ONG ou les fondations, il convient de prendre la mesure du potentiel de mobilisation qu’elles recèlent dés lors qu’elles sont utilisées de manière cohérente dans le cadre d’une politique propre à une organisation. Il s’agit moins de se poser en effet la question de la nature de ces outils que de les utiliser de manière à permettre aux publics de s’inscrire dans des trajectoires d’engagement qui leur convient : qu’il s’agisse de formes de bénévolat, de militantisme ou de don, considérant chaque type d’action comme étant potentiellement une voie d’accès à la cause et à son organisation.