Le 26 octobre dernier, la CB Newletter reprenait le baromètre REC de l’institut Gfk et annonçait que « l’ordinateur résiste au téléphone portable pour le surf sur Internet ». D’après ce baromètre, « seuls 5% de ces internautes indiquent utiliser l’écran d’un téléphone portable pour visiter ces sites, et 1% l’écran d’une télévision ou d’une tablette ».
Plaidoyer pour des observations d’usage du mobile
Il ne s’agit pas ici de contester les résultats de cette enquête qui confirme les (trop rares) études empiriques et qualitatives qui ont pu être réalisées en France. Citons ici l’étude ethnographique « Usages de l’Internet mobile » conduite par Laurence Allard (Maîtresse de conférences en Sciences de la Communication – Université Lille 3 – UFR Arts et Culture), Olivier Aïm (Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Paris IV –CELSA) et Joëlle Menrath (Cabinet Discours & Pratique) et réalisée pour l’Opérateur Virgin Mobile qui établissait, dés septembre dernier, que le surf n’était pas l‘activité privilégiée des « mobinautes ».
Reste que cette étude établissait que, si le surf au sens propre du terme, ne recouvre pas un champ de pratiques majoritaires, il n’empêche que les utilisateurs de mobile ont des usages variés et intéressants de l’Internet sur leur mobile. Citons par exemple cette pratique mise en évidence à de nombreuses reprises par Laurence Allard dans cette étude et dans son ouvrage « Mythologie du portable » de « hack d’usages » qui permet à des utilisateurs de détourner des fonctionnalités du mobile ou d’en utiliser d’autres. Tel utilisateur cité par la spécialiste des usages du mobile préfèrera par exemple faire un raccourci de lien vers un site web mobile sur l’écran de son mobile que d’utiliser une application qui ne lui convient pas.
De la même manière, cette étude établit que les applications ne rencontrent pas l’engouement auquel on pourrait s’attendre. Non seulement les smartphones sont encore assez peut diffusés en France malgré des chiffres en forte progression depuis quelques mois (seulement ¼ des mobiles sont des smartphones), mais plus structurellement les utilisateurs de mobile n’utilisent régulièrement qu’un nombre très limité d’applications : « A rebours de l’image publicitaire d’une gamme infinie d’applis interchangeables, disent-il, chaque utilisateur ne visite qu’un petit nombre de site et d’applis, mais en usant de modes d’accès multiples : cet usage ciblé, très différent de celui de l’Internet fixe, témoigne d’une agilité qui vise à adapter au mieux l’accès à ses besoins ».
Accompagner les usages existants
Au-delà de l’inflation de chiffres à laquelle nous assistons aujourd’hui et compte tenu de blocages notamment législatifs qui contraignent les expérimentations que nous pouvons mener, il apparaît important, en particulier en matière de « mfundraising », d’adopter une posture pragmatique. Cette posture se doit d’articuler une capacité à s’adapter aux usages tels qu’ils existent aujourd’hui et une capacité à expérimenter des dispositifs innovants pour accompagner les usages dans leurs évolutions.
A cet égard et comme le soulignait en septembre 2005 la Déclaration de Toronto qui affirmait que « Without « The People » mobile technology means nothing », le mfundraising doit – plus encore que dans tout autre domaine tant le rapport que l’on peut avoir à son mobile est un rapport intime et complexe – s’arrimer à la capacité qu’ont les utilisateurs à recevoir des messages, à leurs pratiques de cette technologie et à leur compétences. Développer une application pour une association ou une fondation apparaît à cet égard bien dérisoire, dés lors que l’on sait que les utilisateurs de mobile sont très peut enclin non seulement à utiliser, mais de surcroît à télécharger des applications fussent-elles gratuites.
Quelques pistes
C’est la difficulté, en même temps que le défi qui nous est lancé, est à la fois d’avoir une vision réaliste des usages pris dans leur dynamique et de proposer des offres en prise avec ces usages.
Plusieurs pistes peuvent guider aujourd’hui notre réflexion. L’idée tout d’abord qu’un téléphone mobile est avant tout un téléphone, ce qui est – nous en convenons volontiers – un truisme qui peut-être vaut la peine d’être inlassablement rappelé. Pourquoi en effet se limiter aux fonctionnalités telles que le marché nous les impose (celui en particulier des applications, des appstore des grandes entreprises ou de l’internet « haut débit », la 3G vendue à prix d’or par les opérateurs de téléphonie) ? Un téléphone sert en effet à faire communiquer par la voix, par sms, etc. Nous serions nous là bien inspiré de suivre avec attention les innovations qui se développent depuis quelques années dans les pays en voie de développement en matière de mobilisations politiques et de mDemocracy, de reporting, de mbanking, de mhealth comme le propose de manière pionnière Laurence Allard dans « Mythologie du Portable ».
Seconde idée, qui découle de la première, impose de faire confiance aux utilisateurs de ces technologies. La législation en matière de don et même de mobilisation par téléphone mobile est extrêmement rigoureuse. Il n’est pas question ici de contester cette législation qui protège à juste titre les utilisateurs d’intrusions intempestives dans le rapport intime qu’ils ont à leur mobile. Mais rien ne nous empêche d’adopter des codes de bonne conduite et de les négocier avec les utilisateurs pour que puisse s’établir un contrat de confiance entre les organisations (associations, fondations, etc.) et les personnes qui souhaitent contribuer à leur action ou à leur financement.
La dernière idée touche à notre capacité d’innover en matière de fundraising sans pour autant céder aux sirènes du marché. Cette posture nécessite de réfléchir à la question de l’autonomie des médias les uns par rapports aux autres. Il s’agit là, soyons en convaincu, d’une problématique strictement économique liée à la segmentation de marché qui ne nous concerne qu’à la marge. La capacité des associations ou fondations à mobiliser des publics autour des causes qu’elles défendent dépendra de leur capacité à être présente sur tous les médias, que se soient les médias traditionnels (presse, audiovisuel) tout autant que sur les nouveaux médias (Internet, mobile). Et cette présence sera d’autant plus efficace qu’elle sera homogène et articulé à la fois aux usages et aux différents supports des plus traditionnels aux plus innovants.
Olivier Blondeau, consultant innovation, Agence Limite
Merci Olivier pour cet article.
La collecte de fonds sur mobile n’est-elle pas très liée à la crise haïtienne qui s’est traduite par une explosion des dons par SMS (beaucoup plus que par l’internet accessible sur mobile) ?
Ainsi, l’utilisation du mobile pour collecter est très liée, et se nourrit, de la médiatisation d’une catastrophe humanitaire majeure. Or les besoins de collecte des associations sont récurrents et ne peuvent dépendre, même s’ils peuvent s’appuyer sur, d’évènements d’aussi grande ampleur.
Le mobile peut-il être approprié pour lever des fonds de manière récurrente ?
J’ai l’impression que le travail de collecte doit aussi et avant tout passer par un travail sur les points de présences numériques (sites, blogs, médias sociaux, plateformes vidéos, newsletter; et l’articulation entre chacun et avec les médias traditionnels…) des organisations qui veulent collecter.
Or, je pense que la présence sur ces nouveaux médias suppose/impose une réorganisation des activités de communication des organisations : remontées régulières de témoignages terrain, multiplication des prises de parole et des points de vue, développement d’infographies, ouverture des données, formation des personnels aux outils web et à la production multimédia, décentralisation de la communication…
Peut-être me trompe-je 😉 ? Des avis ?