Internet est aujourd’hui ce que le street marketing était il y a 10 ans : une nouvelle technique de collecte de fonds qui assurera le renouvellement et le développement des ressources des associations pour les années à venir. Mais Internet posent des problèmes nouveaux aux associations et aux ONG qui doivent, pour tirer le meilleur profit des TIC, agir sur tous les plans en même temps et de conserve (technique, marketing, financier). Après le dernier webreakfast où Google Adwords, Facebook et la vidéo ont été au coeur des échanges, retour sur les grands défis auxquels les associations, ONG et fondations sont confrontées : une migration technique… et culturelle, de nouveaux donateurs et de nouveaux concurrents. Le premier défi est technique car c’est d’abord en interne au sein des organisations que la migration doit avoir lieu au niveau technique et donc au niveau de la base de données. L’optique de CRM multicanal nécessite des outils spécifiques mais dans les faits c’est plutôt 2 mondes qui ne se parlent pas : la main droite (le MD, le téléphone, le street marketing) est en base mais ne communique pas avec la main gauche (les emails de fidélisation, les actions de prospection en ligne). Inutile donc d’essayer d’obtenir des informations consolidées en fonction d’une logique multicanale (ROI d’un mailing postal avec relance par email, taux de conversions en donateur via le téléphone de prospects acquis par le web, actions de conversion liées à des comportements online comme un clic sur une newsletter…). Mais au-delà de la « technique », qui n’est jamais un problème mais au contraire toujours la solution à un problème, c’est donc bien au niveau culturel que se situent les points de blocage. L’ultra-dominance du marketing direct et téléphonique, et du street dans les ressources des organisations ont créés des réflexes et des réticences qui ont la vie dure. Si c’étaient les conseils d’administration qui « bloquaient » ce serait trop facile, la prudence excessive et les idées reçues sont légions au sein même des services marketing et tout cela empêche l’innovation et ses 2 corollaires indispensables : l’investissement et la prise de risque. Malheureusement, du côté des prestataires, c’est la même chose : le poids énorme du marketing direct dans le volume d’affaire des « conseils » des associations, ONG et fondations d’une part, et le manque cruel de culture technique ont, presque naturellement, toujours tendance à minimiser, repousser ou tout simplement empêcher le déploiement d’actions e-marketing. Le nombre de personnes dédiées ou formées au online dans les agences est à cet égard révélateur. Un expert online, parfois 2, et des chefs de projets ne connaissant pas les mécaniques marketing spécifiques à Internet et vous avez une idée plus claire de la place qu’occupe Internet dans les stratégies marketing proposées aux organisations caritatives.
Ensuite, l’autre grande migration culturelle liée au web réside dans la nécessité d’adopter de nouveaux principes d’action qui n’ont rien à voir avec les principes traditionnels du marketing, et qui parfois sont même complètement opposés. Le prototypage (être en permanence en version BETA) et des déploiements itératifs les plus rapides que possible afin d’obtenir au plus vite l’échec, et donc la réorientation, cette posture vient à l’encontre de la logique classique et perfectionniste du BAT. L’indispensable lâcher prise (voir le Buzzomètre consacré à cette notion) et la logique évidemment floue, car personne ne peut réellement savoir ce qui va se passer sur Internet tant que l’action n’est pas en ligne, c’est le contraire de la segmentation à priori (sur Internet elle ne peut être qu’à postériori et comportementale). Enfin, le temps réel est la seule temporalité du canal Internet, et cela contredit le mode d’organisation des plans marketing « à l’année » où les tests précèdent les déploiements, où les actions sont séquentielles… on pourrait continuer… Parallèlement et paradoxalement, les donateurs en ligne posent des problèmes aux organisations car ils sont le plus souvent des nouveaux donateurs et qu’ils fonctionnement de manière spécifique. C’est vrai en mode « urgence » (Haïti l’a prouvé) mais c’est également évident quand on met en place des actions sur Internet : un déduplication avec la base donateur démontre que les nouveaux profils sont spécifiques, qu’il ne s’agit de migrations du off au online. La question c’est : que fait-on de ces « nouveaux donateurs » ? Et ici comme pour le street marketing, l’origine du donateur n’est pas anodine et doit donner lieu à un traitement spécifique, et il faut avouer avouer que ce n’est pas le cas actuellement.
Les donateurs acquis via Internet, souvent plus jeunes que les donateurs traditionnels, se voient souvent proposer en fidélisation… les mailings postaux conçus pour leurs aînés « offline ». Rien n’est plus absurde et suicidaire, mais c’est pourtant la norme : impossible de choisir son canal de contact privilégié en fidélisation, impossible de ne pas recevoir de mailings dans sa boite aux lettres, et ne pas espérer recevoir d’informations liées ou adaptées à son contexte de don. Et après on dit que les donateurs en ligne « sont moins fidèles » et qu’ils restent « moins longtemps en base » : comment leur en vouloir dans ces conditions ? Enfin, comme si cela ne suffisait déjà pas, la concurrence se révèle très féroce entre les associations, ONG et fondations sur le don en ligne. Elle est manifeste et visible dans le domaine des liens sponsorisés, et elle commence à l’être en affiliation, en coregistration et dans les plans médias « bannières ». C’est normal, attendu et ce serait plutôt bon signe, sauf pour celles qui ne sont pas encore sur Internet, si une autre concurrence ne venait pas perturber le jeu… Car les associations, ONG ou fondations ne sont pas les seules à faire appel à la générosité du public sur Internet, il existe également, depuis l’origine d’Internet mais elle s’est considérablement développée et diversifiée ces 5 dernières années, une concurrence Internet spécifique. Les logiciels libres et les services gratuits tentent de se financer auprès des internautes, c’est vrai pour les outils de publication (exemple : la page de don de Drupal), les navigateurs (exemple : la page de don de la Mozilla Foundation), pour les médias et le journalisme d’investigation ou les web documentaires (exemple : le Mur de Rue89) et aussi pour des sites comme Wikipédia dont la fondation Wikimédia collecte en ligne auprès de grands donateurs comme auprès des particuliers (voir l’appel à collecte de Jimmy Wales). C’est vrai aussi d’associations « pure player » du web comme la Quadrature du Net ou d’ONG « 2.0 » comme Avaaz, c’est enfin plus récemment devenu vrai des mouvements sociaux aussi qui font du fundraising en ligne pour soutenir les grévistes. Et je parle pas des partis politiques et autres clubs, mouvements, micropartis… Les logiques nativement web de ces organisations, le fait que d’entrée elles soient « au top » techniquement et donc qu’elles n’aient aucune migration à faire (ni culturelle ni technique), tout cela en font des concurrents redoutables pour les associations, ONG et fondations qui « se mettent à Internet », souvent à reculons, timidement ou « mal ».
Alors que faire ? Les stratégies sont multiples : politique de l’autruche, un pas en avant deux en arrière, doucement mais sûrement, massivement… Aucune n’est exempte de risque mais certaines inactions ou erreurs placeront les responsables associatifs devant une responsabilité très lourde dans quelques années quand des « Google associatifs » apparaîtront, et quand des « Bearing Point caritatifs » disparaitront faute d’avoir évoluer. Il faut donc choisir son camp, et c’est maintenant qu’il faut le faire. On peut en parler si vous voulez. Icono : http://www.flickr.com/photos/codiceinternet/
Bonjour et merci Frédéric pour cet article,
la révolution culturelle dont vous parlez ne passerait-t-elle pas également par une évolution du rôle des publics des associations ?
J’utilise le terme publics (et pas donateurs) car j’ai l’impression, que sur internet, il y a tout un univers de relations à inventer entre publics et associations, entre publics et membres des associations, entre les publics et les productions des associations (rapports, prise de position, documents de plaidoyer, témoignages terrain & siège etc).
L’invention de ces nouvelles relations, de cette nouvelle fonction de publics bénévoles, démultiplierait aussi les actions des associations à périmètre de ressource égale.
Je suis tout à fait d’accord avec votre propos sur l’acquisition de donateurs, et loin de moi l’idée de ne pas réfléchir aux adaptations des organisations pour qu’elles fassent croître les flux de dons reçus en ligne et qu’elles articulent mieux le on et le off line, mais je pense qu’il y a une vaste énergie bénévole, accessible à moindre frais en ligne, qui reste inemployée.
A mon sens, cela passe par des dispositifs qui réinventent les relations des associations avec leurs publics, ce qui est aussi susceptible de faire entrer la culture web dont vous parlez dans les habitudes et l’organisation des associations.
C’est notamment valable en terme de communication, avec les grands mouvements de crowdsourcing observés en relais des grandes campagnes de mobilisation. Je ne sais pas dans quelle mesure ça peut l’être dans le efundraising.
En tout cas, j’ai l’impression que les associations manquent encore des capacités de production d’informations et de données publiques permettant de mieux nourrir leurs relations avec leurs publics, donateurs ou non.