De la même manière qu’on lit des livres sur notre métier, on s’intéresse aussi beaucoup à ce que la philosophie et la politique brassent comme concepts pour les problématiques de nos clients. C’est vrai pour l’écologie où des gens comme Tim Jackson, Lester Brown ou Pierre Rabhi ou nous semblent particulièrement intéressants, mais c’est également vrai pour la philosophie et l’éthique au sein desquelles « la politique du care » forme un courant de pensée particulièrement en phase avec nos sujets, nos clients et notre métier.
C’est donc à partir de « Le souci des autres » publié sous la direction de Patricia Paperman et Sandra Laugier aux Editions de l’EHESS, nous vous proposons de découvrir ou de revenir sur le « care », cette notion qui naît en 1982 aux USA avec « In a Different Voice » le livre de Carol Gilligan, traduit en 1986 en France sous le titre « Une si grande différence », et que certains films comme Million Dollar Baby peuvent permettre d’appréhender. Ne vous inquiétez pas il ne s’agit pas de sentimentalisme, mais bien de responsabilité et de justice et surtout d’action.
Le caractère intraduisible de la notion de « care » (sollicitude, soin, souci ET faire attention à, s’occuper de) renvoie aux dimensions de proximité, de singularité, d’engagement personnel aux autres. L’importance du « care » pour la vie humaine remet au centre l’idée selon laquelle « la dépendance et la vulnérabilité ne sont pas des accidents de parcours qui n’arrivent qu’aux autres quels qu’ils soient : ce sont des traits de la condition de tout un chacun, même si les mieux lotis ont la capacité d’en estomper ou d’en nier l’acuité. »
Car la bientraitance et le fait de « prendre soin de l’autre, ce n’est pas penser à l’autre, se soucier de lui de manière intellectuelle ou même affective, ce n’est même pas nécessairement l’aimer, c’est faire quelque chose, c’est produire un certain travail qui participe directement du maintien ou de la préservation de la vie de l’autre, c’est l’aider ou l’assister dans ces besoins primordiaux comme manger, être propre, se reposer, dormir, se sentir en sécurité et pouvoir se consacrer à ses intérêts propres. »
L’autre élément clé du « care », le fait qu’il ré-ouvre l’évidence qu’il existe « un style de philosophie morale « féminin » sans pour autant être réservé aux femmes, et cela modifie profondément la méthode éthique telle qu’elle est devenue dominante dans le champ de la réflexion contemporaine. » Ainsi, « la pensée africaine par exemple s’appuie sur des modes de pensées syncrétiques, intuitifs, holistes, affectifs dans lesuqles la compréhension vient à travers la sympathie » pourrait relever de ce « féminisme non féminin » de la pensée, une éthique « non kantienne » (Kant a construit un monde moral qui excluait les femmes : « leur philosophie ne consiste pas à ergoter mais à sentir »), une morale « contextuelle » telle que Aristote, les Lumières écossaises (Smith, Hutcheson, Hume) et certains contemporains l’ont déployée (Kekes, Rawls).
Au coeur de l’éthique du care se trouve également l’idée que si « les individus se traitent les uns les autres avec justice, ils peuvent aussi se soucier les uns des autres ». Les premiers codes de justice grecs plaçaient ainsi l’amitié au premier rang et Rawls parle également de l’affection, de la bienveillance, de l’empathie et de la préoccupation pour le bien-être d’autrui comme étant au fondement des principes de justice. La famille ou le mariage sont des matrices privilégiées de l’éthique du « care » mais elles ne sont pas exclusives d’autres formes de propagation de ce principe dans la société : il suffit que l’organisation parte du postulat que les personnes sont vulnérables pour que le « care » soit possible : l’assistante sociale, l’infirmière, l’aidant, les soignants, les travailleurs sociaux… et les lieux aussi : centres d’accueils ou de soins, zones d’hospitalité, de repos et de ménagement… Tout ça c’est du « care ».
Alors immédiatement on pense à nos clients qui travaillent dans le « care », auprès des personnes vulnérables socialement, médicalement, psychologiquement, économiquement… mais on pense aussi à notre métier de communicants responsables et aux anciennes et bonnes relations que nous avons avec nos clients : en effet pourquoi la gentillesse, l’attention, la sollicitude, la générosité, le dévouement ne seraient pas aussi importantes dans les relations que nous avons avec nos clients ? Et pensons aussi à ce que serait une communication ou une collecte de fonds qui accorderaient une place plus importante à « l’agent » (le citoyen, le consom’acteur, le donateur) plutôt qu’à l’action ou au comportement qu’on attend de lui et qu’on souhaite déclencher ?
Et ça nous donne des idées…
Très intéressant