C’était ce matin (jeudi), au Centre de Sociologie des Organisations (CSO), il y avait autour de l’auteur et de la modératrice Laure Noualhat (de Libération et du blog Six pieds sur terre) :
– Nadia Boeglin, conseillère de la commissaire générale au développement durable, ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer,
– Arnaud Gossement, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit de l’environnement, porte-parole de France Nature Environnement,
– Nonna Mayer, sociologue, chercheur CNRS au Centre d’études européennes de Sciences Po ; directrice de la Collection Contester aux Presses de Sciences Po.
Le thème était donc super, actuel, porteur et je me régalais donc par avance d’assister à ces échanges… et bien c’était intéressant, à l’image de la collection « Contester » qui entend « donner envie de sciences sociales » avec de la « bonne vulgarisation ».
Donc c’était sympa de réapprendre que les mouvements de responsabilisation des consommateurs ne datent pas d’aujourd’hui : catholicisme social et ligue d’acheteuses, syndicats américains, coopératives ouvrières ou bourgeoises, mouvements du libre échange UK, lutte pour les droits civiques aux US…
Même si pour simplifier le propos la comparaison aussi inexacte que dangereuse entre le fait de voter (et d’être un citoyen), et celui d’acheter et d’agir en consommateur a été utilisée, il est malgré tout de plus en plus vrai que commencent à bien se dessiner des profils et des pratiques pour lesquelles c’est désormais le marché qui devient l’espace de la contestation, d’une demande d’éthique ou du soutien à des causes non-marchandes.
Une étude comparative (European Social Survey) citée ce matin fait état d’une augmentation significative de la proportion de « boycotteurs » qui est à 30% chez les cadres et professions intellectuelles en moyenne (56% en Suède même), alors qu’elle était à 15% il y a 10 ans toutes CSP confondues et qu’elle reste à ce niveau chez les ouvriers qui n’ont, eux, pas forcément les moyens de politiser leurs achats…
Deux principaux modes d’action on été abordés pour décrire ces phénomènes de consom’action ou de consommation engagée :
– s’appuyer sur le marché pour faire levier et laisser le consommateur exercer son choix (labels, guides d’achats, marques, boutiques), en ciblant l’individu et en cherchant des effets individuels collectifs
– recruter des contestataires via la consommation, les consommateurs sont ici pris en tant que groupe social qui s’organise (AMAP, décroissants, SEL) pour négocier une gouvernance différente, développer des solutions marchandes ou non-marchandes à des problèmes plus globaux qui dépassent le produit en lui-même, etc.
En revanche, ce pouvoir économique de la consommation responsable reste quantiativement faible, commerce équitable inclus, car la consommation de proximité, le pouvoir d’achat ou la facilité dominent dans les achats, et que les objectifs de la consommation engagée sont avant tout politiques ou activistes et destinés à faire pression sur l’Etat, les entreprises et les médias pour faire connaître un problème et/ou proposer des alternatives. De toute façon, l’appel direct au boycott de produits est interdit par la loi.
Mais c’était également intéressant de ré-entendre que, historiquement autant qu’idéologiquement, la construction des droits du consommateur (droit à la protection et droit au choix) autour de la notion de « souveraineté du consommateur » (là encore l’équivalence politique est très forte), a dans les faits placé les associations de consommateurs plutôt en retrait face à la consommation engagée, laissant le champ aux associations de défense de l’environnement ou des droits humains.
Ensuite, le Ministère de l’Ecologie a insisté sur le fait que le consommateur n’avait, historiquement là encore, pas été la priorité des pouvoirs publics en matière de promotion de l’environnement, mais que c’était désormais le cas. Que le Gouvernement travaille actuellement à renforcer le droit à l’information sur les conditions sociales et environnementales de production de distribution et d’élimination des produits ET à rendre visibles, crédibles et accessibles les offres de consommation responsables. La conseillère de la commissaire générale au développement durable, ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer a cité 3 exemples concrets :
– le Grenelle de l’environnement et ses suites législatives
– la réforme du BVP avec la création de l’ARPP (Association de Régulation de la Publicité par les Professionnels) « qui intègre les associations de consommateurs »
– l’existence du portail www.toutsurlenvironnement.fr
A ce moment, c’est Arnaud Gossement de France Nature Environnement, qui a pris la parole pour préciser que les associations de consommateurs n’étaient pas décisionnaires dans le cadre de l’ARPP car non membre du jury de déontologie publicitaire, et que le greenwashing continuait donc de plus belle, ce que constatent l’Observatoire Indépendant de la Publicité et le Collectif des Publicitaires Eco Socio Innovants dont Limite est co-fondateur.
Autre point sur lequel on ne pouvait que suivre FNE : le fait de contester l’ordre établi avec les instruments de l’ordre établi (vrai pour le droit, vrai pour le marché) est toujours moins puissant que la régulation par l’intervention de l’Etat.
Et 3ème point de convergence qui a densifier encore plus le débat, le carbocentrisme (tout mesurer en équivalence carbone) est réducteur car les choses sont complexes : un bilan CO2 favorable ne veut pas dire que le bilan environnemental, ou social est automatiquement bon (exemple : le thon rouge, les bâtiments HQE…). Les tableaux en noir ou blanc et les brevets de vertuosité en sont d’autant moins crédible et souhaitable.
Le Ministère, soutenu par l’ADEME qui était dans la salle, ont eu beau vouloir « rétablir la vérité » sur l’ARPP, les arguments étaient assez faibles et donc peu convaincants…
Bref tout ça pour dire que s’il n’y avait pas eu FNE, et si on avait pas parlé de publicité et de greenwashing, il n’y aurait pas eu de débat !