Débat des fundraisers de l’AFF (Association Française des Fundraisers) présents à la présentation de l’étude IFOP/LIMITE sur les Français face à la crise (vague de février 2009) – 19 février 2009
Les études de ce début 2009 sur les comportements des donateurs convergent autour d’une triple idée :
– Les « Donne-à-tord », donateurs traditionnels, certes ébranlés par la baisse de leurs ressources et par leur rôle de « génération-pivot » qui doit soutenir les autres (Claudine Attias-Donfut, Fondation Nationale de Gérontologie), continuent de donner contre vents et marées (comme le confirme également France Générosité), tiennent bon face à la crise. Depuis déjà 5 ou 6 ans, les travaux d’Alain Mergier et d’autres observateurs du secteur avaient démontré que, pour ces générations plutôt d’avant-guerre, le don fait partie intégrante de leur mode de vie, la solidarité est une manière d’affirmer son appartenance à son groupe social, à sa communauté. On donne, à tord ou à travers, malgré les crises, malgré les « affaires », parce que « quand quelqu’un vous demande de l’aide, on ne dit pas non ».
– Les « Je-néreux », nouveaux donateurs, papy-boomers (cf étude Fondation de France sur la génération 68 et la générosité) ou génération 15-25 ans, « millenium », comme les appellent les américains (cf article) comptent de plus en plus sur les solidarités interpersonnelles que rendent possibles les nouvelles technologies pour reprendre la main sur un monde qui part en vrille.
– Mais, traditionnelles ou nouvelles, ces logiques de solidarité qui rendent les ONG optimistes malgré le recul des subventions et la prudence des mécènes (cf lerameau.fr) vont de plus en plus se traduire en « Don-ditionnel » : donner au coup par coup, sur des projets précis et ne redonner que si on a des preuves convaincantes que « ça marche ».
Les « Donne-à-tord » ont peur :
Jérome Fourquet (Ifop) souligne l’accélération de la montée de l’inquiétude des Français face à la crise (23% de « très inquiets » en novembre 2008 -> 35% en janvier 2009)
Alain Mergier (Wei) confirme que, dans les études quali qu’il mène actuellement, la plupart des catégories sont passées d’un sentiment « d’inquiétude » (vous êtes sur un chemin de campagne et vous voyez un gros chien à 50m) à de la « peur » (le chien vient vous renifler en grognant, menaçant) : 60% des Français ont désormais peur d’être SDF. Le SDF n’est plus une figure marginale, il est l’un des statuts possibles de gens qui ne sont pas obligatoirement des marginaux.
Quand on a peur de perdre son mode de vie, on essaye d’en préserver les composantes clés le plus longtemps possible. Les donateurs réguliers sont attachés au fait de donner, qui fait partie intégrante de leur mode de vie. C’est pour cela qu’ils tiendront aussi longtemps que possible. C’est grâce à cela qu’ils se sont mobilisés derrière les associations fin 2008.
Jan Jennings Cailleux, spécialiste de la collecte de legs venue de Boston, rappelle d’ailleurs qu’aucune des récessions antérieures n’a provoqué de baisses des dons.
Mais cette résistance se heurte de plus en plus, chez les retraités, à une logique prudentielle « je vais faire attention ». Le représentant de l’Armée du Salut ajoute que ces logiques de réduction des dépenses ne datent pas de la crise.
Le représentant du CCFD, tout en confirmant les bon résultats de la fin 2008, remarque enfin que c’est par comparaison avec fin 2007, année qui avait connu une fin difficile à cause de l’affaire de l’Arche de Zoé. Selon lui, on est en fait seulement revenu au niveau de 2006.
Les Je-néreux font face (-book ?) :
Jérome Fourquet précise que ce sont toutes les classes d’âge jeunes qui manifestent une intention accrue de se mobiliser (progression de 37% à 41% en 3 mois).
Alain Mergier cite plusieurs études que son cabinet, Wei, mène actuellement sur ces générations qui n’ont pas, comme leurs ainées, connu un paysage social et économique tracé comme un « jardin à la française », certes un peu moins bien entretenu mais avec encore les points de repères d’autrefois. 86% des 15-24 ans voient plutôt le monde comme une « jungle » dont ils ont une vision pessimiste.
Pourtant, 75% d’entre eux considèrent qu’ils vont se débrouiller dans ce monde hostile, grâce aux solidarités interpersonnelles fondées sur la confiance donnée et la réciprocité qu’ils tissent avec différents réseaux. Cette solidarité entre individus est de nature différente des solidarités collectives des générations traditionnellement engagées. Loin de tout égoïsme, indissociables des logiques et pratiques issues des nouvelles technologies, cette « solidarité new-age » constitue un renouveau d’une notion de solidarité un peu abandonnée par les générations intermédiaires.
Le « Don-ditionnel », une confiance fondée sur la réciprocité :
Eric Dutertre, de l’agence Excel qui conseille en collecte de fonds une vingtaine de grandes organisations, confirme que les dons, après une dépression en octobre et novembre, ont connu une forte reprise en décembre et janvier, de sorte que l’année 2008 aura été une bonne, voire, pour certains, très bonne année au total. Il met cette mobilisation des donateurs traditionnels sur le compte d’une « bulle de générosité » qui aurait été suscitée par l’actualité (hiver rude et long entrainant la mort de SDF + offensive israélienne sur Gaza + tempête dans le Sud-Ouest) et qui cacherait donc des transformations plus profondes dans les logiques de dons qui devraient amener les fundraisers à se repencher globalement sur la question du don et de la confiance aux associations en cette période charnière.
Transformations que Jan Jennings Cailleux résume simplement en déclarant que toutes les organisations qui font appel au soutien du public vont devoir de plus en plus expliquer en détail et en permanence leurs missions et ce qu’elles font vraiment.