Moi : Parce que je « travaille dans le caritatif », ça fait plusieurs fois qu’on m’envoie des infos (voir la confirmation de la Présidente de l’AFM et l’article de Rue89) sur le « scandale du Téléthon », qui rémunérerait son partenaire France Télévisions, « avec nos dons » et je sais pas trop quoi en penser. Car je peux comprendre les incompréhensions, voire les indignations que cela peut provoquer chez les donateurs, mais je sais aussi que les dons ça n’arrive pas tout seul, et que c’est un métier de faire appel à la générosité du public, que les médias y ont une place centrale, et que beaucoup d’associations et de fondations rêveraient d’avoir un partenariat comme celui de la l’AFM avec France Télévisions…
Lui : Oui c’est un vieux débat : tout le monde voudrait que les associations n’aient aucun frais (les familles de l’AFM les premières). D’ailleurs, cela a été tenté, des systèmes dans lesquels tout est pris en charge par l’Etat mais ça marche pas. Le probleme est que les choses ne sont pas clairement dites, sur le fait qu’il y a quand même des frais. Par exemple, dans le cas du Téléthon, les 25 à 30 heures offertes par France Télévisions, Radio France, etc… valent des dizaines de millions d’euros (antenne + production) sans compter le manque à gagner publicitaire (car même pour le prochain Téléthon, France Télévisions a encore de la publicité dans la journée) car le Téléthon a une audience catastrophique, et sans compter les cachets des vedettes (en fait, sur un plan commercial, France Télévisions préfèrerait sans doute ne pas faire le Téléthon, car ce n’est qu’une opération d’image et de mobilisation de l’interne).
Moi : Mais le Téléthon paie quoi alors à France Télévisions, sur quelle base le calcul se fait ?
Lui : Une partie des frais de production de la soirée spéciale sont pris en charge par le budget d’investissement du Téléthon. Et c’est une volonté de l’association de conserver le contrôle de ces frais (décors, techniciens, etc, on est dans des secteurs et des volumes où cela monte très vite à plusieurs millions) ; toutes les associations ont intérêt à contrôler en partie la production de leurs campagnes car c’est aussi pour elles la garantie qu’elles ne vont pas être traitées à la baisse et qu’elles maîtrisent ce qu’elles font (je suis sûr que ce Monsieur se sent beaucoup plus libre de ne pas venir à une réunion associative qu’à son travail le matin). France Télévisions refacture ce que cela lui coûte sans marger (n’oublions pas que France Télévision est désormais elle-même quasiment une « Grande Cause »). C’est grâce à cela et à de nombreux bénévolats que le Téléthon est l’une des opérations de collecte nationale bénéficiant des meilleurs ratios « coûts/recettes », là où certains mailings ou campagnes au téléphone coûtent la moitié de ce qu’on donne à l’association. Tout cela est clairement dans les comptes publics de l’AFM. Certes on peut reprocher à celle-ci de ne pas en faire une publicité plus forte, mais cela lui coûterait de l’espace et de l’énergie qu’elle peut consacrer à faire rentrer plus d’argent. Et je peux témoigner que l’AFM est l’une des associations les mieux tenues, les plus radines et les plus contrôlées par la Cour des Comptes (voir les rapports qui sont, pour les derniers, nickel).
Moi : Alors c’est quoi le problème ?
Lui : Les donateurs réguliers connaissent et admettent assez bien ces logiques (cf. différents sondages sur le sujet). Ils savent qu’il faut bien des frais de personnel, de gestion, etc pour que des grosses institutions de plusieurs centaines de millions tournent. Les donateurs occasionnels, qui sont moins informés, ont souvent a priori l’idée que tout cela est magique et qu’il existe des univers où l’économie de marché ne s’applique pas et où un grand nombre de personnes très qualifiées peuvent renoncer à leur travail et à leurs loisirs pour se consacrer entièrement à une cause.
Moi : Donc « faux scandale », encore un, et comme souvent je pense que c’est l’arbre qui cache la forêt non, car le monde du caritatif et le grand public sont encore traumatisés par les cas historiques de dérives (ARC), maus qui restent l’exception car quand même ce secteur n’est pas exempt de soucis ou d’irrégularités mais c’est pas les « produits dérivés » ou les hedge funds quand même…
Lui : Le plus fort, c’est que le public est peu informé d’un vrai scandale du financement des campagnes associatives pour collecter des fonds : les affranchissements des mailings d’appels aux dons rapportent des taxes importantes à La Poste et à son actionnaire, l’Etat qui perçoit une TVA à 19,6% sur tous les frais de communication, d’impression des mailings. De sorte que, lorsque le quelqu’un bénéficie par exemple de 6 euros de ristourne fiscale sur un don de 10 euros, il faut savoir que l’Etat reprend par derrière 1 à 3 euros de taxes diverses, selon l’association. Enfin, je poserai une question : qui a intérêt que le Téléthon perde le soutien de France Télévisions en faisant courir l’idée que ce ne serait pas un vrai soutien ? Et pourquoi parle t’on du Téléthon, qui dans le genre dépenses / recettes est exemplaire, et pas des campagnes de sollicitations au téléphone, qui en prospection ont actuellement des taux de 90 centimes de recettes pour 1 euro dépensé ? Ou des opérations genre ventes de fleurs ou dîners de gala, qui rapportent à peine ce qu’elles coûtent, et encore, grâce au mécénat ?
Moi & Lui : Et vous, vous en pensez quoi ?
Merci Fred et Laurent pour la visibilité sur cet échange.
Pour avoir vécu certains projets du Téléthon de près à une certaine époque, cette discussion est sans fin.
Le grand public ne comprend pas car il n’est pas informé simplement sur les mécanismes financiers des associations.
Je pense qu’aujourd’hui informer avec un rapport Cour des Comptes, c’est purement politique et noyer le donateur et les poplations cibles des associations dans des discussions dont ils ne maitrisent ni le contexte, ni les aspects opérationnels.
S’il est vrai en France que le développement des ressources nécessite d’investir – les entreprises pour pouvoir vendre font savoir ce qu’elles vendent, et pour reprendre une image simple : quand on organise un concert dans un village on communique dessus par bouche à oreille et par des affiches un peu partout – ce mécanisme de l’ « argent c’est sale » existe et est très fortement ancré dans l’esprit des français (décideurs et opérationnels du secteur non-profit souvent inclus).
Pourquoi cette réaction épidermique qui laisserait penser que « l’argent c’est sale » ? Plusieurs éléments de réponse :
– un comportement d’anti-américanisation primaire parfois
– anti-capitalisme primaire sans doute (les associations seraient toutes des gauchises ? c’est bien connu 🙂
– une situation géographique entre la sphère anglo-saxonne et les pays du sud européens, qui pose l’esprit et le corps politique français le cul entre deux chaises (oups … 😀 ) ah… vive la géopolitique
– depuis les années 90, une évolution sociétale plus forte basée sur la recherche de valeurs saines et une forme de « retour aux sources » (même si je déteste cette terminologie qui fausse la vision de cette évolution) et en même temps une envie de se protéger soi d’abord et les advienne que pourra pour les autres…
– une montée des pratiques de commerces bio, équitables, solidaires, et des systèmes d’échanges parallèles (SEL/troc…) notamment chez ce que les sociologues ont appelés les Créatifs Culturels (un quart de la population occidentale ??)
– et très récemment (2007, élection présidentielle + Grenelle de l’Environnement), une montée du Développement Durable, notion pourtant simple, qui perd totalement le grand public et les décideurs dans les méandres des notions socio-écolo-économiques (« travailler plus pour gagner plus » versus « travailler pour vivre mieux » ?). Ah bon, on peut gagner plus de sous sans dépenser plus (cf. quelques expériences savoureuses chez nos voisins anglo-saxons, si en avance sur le sustainable development).
Beaucoup de paradoxes donc à affronter sans que cela soit assumé, et sans vouloir trouver de réponse et de positionnement franc ? Sans doute ? La France cultive le paradoxe, ce qui permet des évolutions lentes, parfois utiles pour prendre du recul et avoir une vision politique et historique sereine, et pourtant des évolutions rapides si nécessaires au regard des enjeux environnementaux mondiaux et urgents qui nous font face.